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25 avril 1986, centrale nucléaire Lénine, Tchernobyl, URSS. Mal conçu et dangereusement exploité, le réacteur n°4 fait ce jour-là l’objet d’une expérience destinée à tester son alimentation électrique de secours. La puissance thermique est volontairement réduite.
À 23h10, une dizaine d’heures après le début de l’expérience, la puissance passe de 1 600 à 500 MW. Cependant, elle diminue brutalement à 30 MW, ce qui provoque un empoisonnement du réacteur au Xénon.
Mis en exploitation expérimentale trois ans plus tôt, le réacteur n°4 a dérogé à certaines vérifications essentielles. Il est dangereux et appartient à un bloc construit en faisant fi des normes, des technologies de montage et de construction imposées par le cahier des charges. Son système d’arrêt d’urgence est de surcroît particulièrement lent. La centrale, elle, ne dispose pas d’enceinte de confinement. Les rejets radioactifs ne rencontreront ainsi aucune résistance pour s’échapper dans l’environnement.
À 1h23, un incendie se déclare. C’est que la radiolyse de l’eau a conduit à la formation d’un mélange détonnant d’hydrogène et d’oxygène, et qu’en l’espace de quelques secondes, la puissance du réacteur a centuplé, faisant exploser la dalle en béton qui le recouvrait. Les débris l’ont fissuré, sur le haut et sur le côté. C’est une véritable catastrophe dont les autorités ne mesurent ni l’ampleur ni les conséquences. Le réacteur 3 est lui aussi menacé. Plus tard dans la journée, l’ingénieur en chef prendra la décision de le faire passer en arrêt à froid, le sauvant ainsi d’une destruction quasi-certaine. En attendant, les pompiers arrivés sur place sont impuissants, parce que l’eau n’éteint pas les matières nucléaires. Ils sont irradiés, et certains vont mourir sur place.
Les autorités soviétiques minimisent la catastrophe
L’explosion du réacteur 4, en fusion, est évitée de justesse. Au contact de l’eau, il aurait pu éclater et disperser des quantités de matière radioactive plus importantes encore. La dalle de béton située sous le réacteur, elle, menaçait de fondre. Même avec le recul, il est impossible d’imaginer quelles auraient pu être les conséquences d’une catastrophe plus grave encore.
Des plongeurs ont été envoyés pour fermer les vannes et installer un système de pompage, mais de la fumée s’échappe toujours. Les particules radioactives affluent dans un ciel qui, bientôt, est investi par les hélicoptères militaires de transport. Pendant plusieurs jours, ils se relaient et déversent sur ce qui n’est plus qu’un trou béant des centaines de tonnes de sable pour limiter les rejets mortels. Il faudra attendre douze jours pour que le taux de radioactivité revienne à des proportions acceptables. Du 14 mai jusqu’en décembre 1988, 600 000 ouvriers « liquidateurs » sont envoyés sur place afin de procéder à la mise en sarcophage du réacteur et à l’illusoire décontamination de la zone. Ils viennent de Biélorussie, de Lettonie, de Lituanie, de Russie et d’Ukraine et les autorités leur ont attribué un véritable passeport pour la mort. Insuffisamment protégés contre les rayonnements, ils seront plus de 50 000 à ne pas réchapper de cette mission kamikaze. Des dizaines de milliers d’autres resteront handicapés à vie ou contracteront des maladies.
Le 26 avril, jour de l’accident, a été une journée normale pour le Premier secrétaire du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev (qui n’a appris la catastrophe que le lendemain !), et pour la population alentour. Elle n’a pris aucune précaution et pour cause : elle n’a pas été mise au courant de ce qui s’est produit. La ville voisine de Prypiat n’est évacuée par l’armée que le lendemain après-midi. Dans la matinée, ses habitants ont été informés par la radio locale qu’un accident s’était produit à Tchernobyl, que de ce fait ils doivent partir en n’emportant que le strict minimum et qu’ils pourront revenir d’ici deux ou trois jours. En attendant, ils sont hébergés dans la région de Polesskoie, elle-même exposée aux radiations. 115 000 personnes habitent dans un rayon de trente kilomètres autour de la centrale. Elles seront toutes évacuées début mai, après plusieurs jours passés à respirer un air hautement radioactif. Au total, ils seront 250 000 à devoir quitter leur domicile… et à recevoir une indemnité dérisoire de quelques milliers de roubles.
Des conséquences dans le reste de l’Europe
Le 28 avril, la centrale suédoise de Forsmark enregistre des taux de radioactivité anormaux. L’ensemble du site est évacué par crainte d’une fuite nucléaire interne, mais les premières analyses révèlent que la contamination vient de l’Est. L’AFP relaie l’information. Le lendemain, son homologue soviétique TASS parle d’un « accident de gravité moyenne survenu à la centrale de Tchernobyl ». Sauf que, de la bouche des autorités soviétiques ou de sa presse, « moyenne » est le plus souvent synonyme de « grave » voire de « gravissime ». Des photos-satellite parlantes ne tardent pas à exhumer le caractère macabre de l’euphémisme.
Pripyat est devenue une ville fantôme. Les localités alentours ont elles-aussi été évacuées, mais ils sont quelques samosioli à avoir bravé les interdictions pour revenir dans leur invivable « chez eux ». Parfois, ils l’ont payé de leur vie. Depuis dix ans, il n’y a plus de risques de surexposition radioactive de la population, mais ils sont encore quelques-uns, là -bas et ailleurs, à trépasser des suites ce qu’on a fini par appeler « Tchernobyl ». Certains sont nés cinq voire dix ans après l’accident et en sont morts, mais on ignore combien, et plus largement quel est le bilan humain de la catastrophe. Elle aurait fait 4 000 victimes d’après un rapport publié sous l’égide de l’ONU en 2005, entre 30 000 et 60 000 selon une étude de scientifiques britanniques, 67 000 rien qu’en Russie pour le Dr Khudoleï, directeur du centre indépendant d’expertise écologique à l’Académie des Sciences de Russie.
La plupart des pays de ce qui s’appelait encore la CEE ont pris des mesures drastiques une fois la catastrophe connue. Elles consistaient notamment en des interdictions de consommer des aliments, en particulier les légumes verts. Un nombre de cas anormalement élevé de cancers de la thyroïde et de malformations sans doute directement imputables à l’explosion du réacteur n°4 a toutefois été observé un peu partout en Europe dans les mois qui ont suivi. Le gouvernement français, lui, a jugé bon de ne rien proscrire. Bien qu’il n’ait jamais prononcé cette phrase restée dans la mémoire collective, à ses yeux le nuage radioactif s’est bien arrêté « à la frontière ». Quelques malades français parfois accusés d’avoir fait de la catastrophe un alibi n’en ont pas convenu.
Dernier détail, pas tout à fait anecdotique : le sarcophage tombe en déliquescence. On parle depuis une décennie d’en construire un autre pour prévenir un éventuel écroulement. En attendant, l’eau continue de s’infiltrer à travers les parois du béton, et son association avec les 180 tonnes de combustible radioactif qu’il renferme peut provoquer une réaction à chaîne. Vingt-trois ans après, le risque d’une autre explosion n’est toujours pas écarté.
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