Dans Le Télégramme (article du 27 novembre 2023), l’une de vos membres, Claire Tabarly, évoque la biodiversité exceptionnelle de la rivière de Crac’h, avec notamment une forte richesse ornithologique. Pourriez-vous détailler ce qui rend ce site exceptionnel et, d’un point de vue environnemental, particulièrement sensible ? Cette concentration d’espèces ornithologiques, menacées ou vulnérables, est-elle une particularité à la rivière Crac’h ou est-ce assez répandu ?
Marc Noyelle – Il s’agit d’un site d’une beauté exceptionnelle qui est d’ailleurs spécifiée dans tous les PLU (plans locaux d’urbanisme) des communes concernées (Carnac, Crach, Saint-Philibert, La Trinité-sur-Mer). Quand on découvre le site, on est souvent surpris d’apprendre qu’il n’est toujours pas classé. La demande du classement de la rivière de Crac’h comme site pittoresque fait d’ailleurs partie des combats de notre association.
Concernant les oiseaux, la rivière de Crac’h est en fait une ria (NDLR. baie étroite et allongée, partie inférieure de la vallée d’un fleuve côtier envahie par la mer) avec une typologie bien spécifique et particulièrement propice à la nidification de nombreuses espèces ornithologiques. Elle est en effet composée de nombreux terre-pleins et de berges, notamment les anciennes berges ostréicoles, situées au ras de l’eau, qui sont particulièrement adaptées au mode de nichage du martin-pêcheur, oiseau emblématique de la rivière, mais pas seulement. Ces caractéristiques bien spécifiques font des bords de la rivière de Crac’h un espace privilégié pour l’installation de nombreuses espèces ornithologiques. En effet, le site héberge plus de 60 espèces d’oiseaux différentes, dont 26 protégées, une douzaine classée « en voie de disparition » et d’autres « vulnérables ». 16 espèces sont menacées, dont 7 espèces « en danger ». 18 espèces ont une responsabilité régionale « majeure » à « très élevée ». Parmi ces espèces, on peut citer outre le martin-pêcheur, la sterne caugek, le grand gravelot, le courlis cendré, la spatule blanche, la grande aigrette et tant d’autres… En ce moment, on a de très nombreux vanneaux huppés dont le vol est magnifique !
C’est cette diversité extraordinaire que nous essayons de préserver avec l’Association de Protection des Rivières de Crac’h (APRC), que ce soit au niveau du suivi de la qualité des eaux qui s’est améliorée ces dernières années malgré des dangers toujours présents, du comptage des oiseaux ou de la vigilance quant aux projets d’aménagement, comme celui du sentier littoral.
On parle beaucoup du surtourisme en Bretagne. Ce phénomène pourrait s’aggraver dans les années à venir du fait du réchauffement climatique, qui rend la Bretagne plus attractive par rapport à d’autres zones traditionnellement impactées, comme la Côte d’Azur. Quels peuvent être ses conséquences sur la rivière Crac’h ?
Marc Noyelle – Évidemment ! L’activité humaine, par définition, implique toujours une certaine nuisance et un dérèglement des écosystèmes. Un quart des oiseaux européens a disparu en 40 ans indique une récente étude des chercheurs du CNRS. La pression humaine et la destruction des zones humides font partie des causes principales. La situation s’aggrave ces dernières années et 43% des oiseaux sont menacés en Bretagne. Dans le golfe du Morbihan, sous la pression humaine, les chiffres de fréquentation des oiseaux du littoral s’effondrent. Ces oiseaux trouvent refuge dans la rivière de Crac’h, une des dernières zones de quiétude du littoral. Les oiseaux sont la partie émergée de l’iceberg de la biodiversité qui est en train de fondre.
La zone est isolée, les oiseaux se sentent en sécurité, donc ils partiront s’il y a trop de touristes. Sans compter la pollution inhérente à la fréquentation (bruit, déchets, circulation…).
Au-delà de l’attrait croissant de la Bretagne pour les touristes, quelles peuvent être les conséquences du réchauffement climatique pour la rivière Crac’h ?
Marc Noyelle – Le principal danger du réchauffement climatique est tout simplement la montée des eaux. Si les berges, digues, murets sont immergées c’est l’ensemble de cet écosystème si fragile qui sera détruit.
Un point essentiel tant au niveau de l’activité humaine que de la montée des eaux est la préservation de deux digues stratégiques. Celle de Kerguoch et celle de Becquerel, qui sont essentielles à la préservation de l’habitat naturel des oiseaux, mais également à l’ostréiculture locale.
On a l’exemple de la digue de Kerlioret, à quelques kilomètres de là, sur la commune de Saint-Philibert. Un peu comme ils prévoient de le faire sur la rivière du Crac’h, l’administration a créé un sentier littoral sans précaution… Sans trop réfléchir aux conséquences, ils l’ont fait passer sur la digue. Depuis la digue s’est affaiblie à cause du passage trop fréquent des promeneurs. Des trous sont apparus et la digue devenait dangereuse. Les propriétaires ont eu gain de cause contre l’État devant la justice et le contribuable a dû payer les travaux de rénovation. Le préfet a dû interdire le passage public sur cette digue et modifier le sentier littoral !
On pense aussi que l’augmentation du nombre d’oiseaux autour du Crac’h ces dernières années est liée à ce sentier créé autour du golfe du Morbihan qui a fait fuir les oiseaux venus se réfugier chez nous. D’où notre extrême inquiétude quant au projet actuel.
Vous vous mobilisez aujourd’hui pour repenser le tracé d’un sentier littoral qui, selon vous, aurait des répercussions négatives sur l’environnement local. Pourriez-vous en dire plus sur ce projet et ce que vous attendez des pouvoirs publics ? Quelle serait, selon vous, la solution pour lier préservation de l’environnement et accessibilité des personnes aux sites naturels, en particulier celui de la rivière de Crac’h ?
Marc Noyelle – Comme je vous le disais, les caractéristiques bien spécifiques favorables à la nidification des oiseaux sur les berges du Crac’h consistent notamment en ces espaces au ras de l’eau. Or, c’est précisément au ras de l’eau qu’une partie du sentier est prévue…
Clairement, le sentier actuel n’est pas bien conçu. Pour autant, nous ne voulons pas proposer de projet alternatif, car ce n’est pas notre rôle. On ne veut pas faire de « projet contre projet ». On veut être vigilant sur les tracés et dire qu’il est possible à certains endroits de passer ailleurs de manière moins gênante.
Nous avons défini six principes absolus que le sentier devra respecter pour avoir notre approbation et pour préserver notre richesse naturelle : le chemin de doit pas attenter à la biodiversité ; il ne doit pas nuire à la qualité de l’eau ; il doit passer à plus de 15 mètres des habitations ; il ne doit pas passer sur les digues fragiles et vitales de Kerguoch et de Becquerel ; il ne doit pas passer en zone dangereuse et il doit limiter les dépenses publiques.
Encore une fois, nous ne sommes pas opposés absolument au projet, nous voulons seulement qu’il soit fait de manière cohérente et respectueuse de l’environnement et des riverains. Si la Direction départementale des Territoires (DDT) accepte nos demandes de rendez-vous sans sourciller, elle n’est toujours pas en mesure de nous fournir la moindre étude. Et pour cause : les comptages de l’État ne sont pas finalisés (donc on ne peut pas y avoir accès) ! Mais le projet est déjà lancé… Nous avons demandé dans ce sens un moratoire au préfet : on souhaite que toutes les études préalables soient finalisées avant le lancement du projet. Ce qui semble pourtant une évidence…
J’ajouterais un point essentiel : nous tenons à ce que la Rivière de Crac’h vive. 30 établissements ostréicoles sont implantés sur les bords de la Rivière. Ils dépendent directement de la qualité de l’eau devant chez eux. Comme vient de me le dire l’un d’entre eux : même si tout le monde n’a pas encore compris que ce sentier serait, pour nous ostréiculteurs, une véritable catastrophe sanitaire, je reste persuadé que nous arriverons à faire entendre raison au plus grand nombre.
Aujourd’hui, nous avons obtenu un large consensus avec de nombreux acteurs locaux qui nous soutiennent : le projet de sentier littoral sur la rivière du Crac’h menace tout l’écosystème local car il a été fait à l’envers. Il faut que l’État prenne ses responsabilités, qu’il finalise les études avant de proposer un tracé et peut-être qu’il consulte les acteurs locaux dont nous faisons partie, et qui connaissent mieux que personne les enjeux environnementaux de cette zone. En respectant les 6 conditions évoquées, indispensables à la préservation de notre patrimoine si précieux et si fragile, le sentier pourrait voir le jour sans opposition.