Après la tempête, les forestiers au chevet des forêts impactées

Après la tempête, les forestiers au chevet des forêts impactées
Quand les nuages s'éloignent, la tempête laisse souvent place à un paysage désolé – et dangereux, car la forêt n'est pas sécurisée tant que les forestiers ne sont pas intervenus. Chargés de la mise en sécurité des parcelles touchées, ceux-ci ont surtout pour mission d'évaluer les dégâts causés par la tempête et de planifier la reconstitution de la forêt, en privilégiant sa régénération naturelle.

Réparer les forêts. Après le passage de la tempête Ciaran – suivie, de peu, par la tempête Domingos, de plus faible intensité –, l’ouest de la France se remet progressivement du choc provoqué par cet épisode météorologique d’une violence inédite. Dans la nuit du 1er au 2 novembre, des rafales pouvant, sur la côte bretonne, dépasser les 200 kilomètres/heure ont été mesurées par Météo France. Ce qui en fait la tempête la plus sévère en Bretagne depuis 1987. Si les pertes humaines et les dégâts matériels ont été, heureusement, plutôt contenus, qu’en est-il des conséquences sur la nature et, plus particulièrement, sur la forêt ?

Difficile, à ce stade, d’obtenir un bilan chiffré, alors que les services de l’État et d’Enedis continuent d’intervenir sur le terrain. Partout où le vent a soufflé, des arbres sont tombés, entravant parfois la circulation automobile. Dans le département du Morbihan par exemple, les sapeurs-pompiers dénombraient plus d’un millier d’arbres tombés au lendemain du passage de Ciaran. En extrapolant ces chiffres à l’ensemble des territoires frappés par la tempête, on peut sans trop de risque imaginer qu’au moins une dizaine de milliers d’arbres ont été fauchés par le vent. En tout état de cause, la première tempête de l’hiver 2023-2024 laissera, au moins localement, des cicatrices qui mettront des années à se refermer.

Dispositifs post-tempête : les leçons de 1999

Rien à voir, cependant, avec la fameuse tempête de 1999 – ou plutôt les deux tempêtes (alors baptisées Lothar et Martin) qui, déjà, s’étaient abattues coup sur coup sur l’Hexagone entre le 26 et le 28 décembre de cette dernière année du XXe siècle. Historique par son intensité, l’épisode avait profondément marqué la mémoire collective et les paysages français. Quelque 968 000 hectares de forêts avaient été dévastés, soit 6 % de la surface boisée totale du pays ou davantage que celle de certains départements entiers. Un traumatisme dont le souvenir hante encore les souvenirs des forestiers : « c’était la première fois que nous connaissions une catastrophe aussi massive et étendue sur l’ensemble de la forêt française, qu’elle soit publique ou privée », se remémore Brigitte Pilard-Landeau, de l’Office national des forêts (ONF).

Comme le souligne Stéphane Vieban, Directeur Général d’Alliance Forêts Bois, dans l’émission radio Ma France suite au passage de Ciaran: « Le changement climatique nous oblige à faire des choses que nos prédécesseurs n’ont pas faites. C’est pour nous un vrai bouleversement, quasiment culturel. »

Hors normes, la tempête de 1999 aura au moins rodé les acteurs privés et publics de la filière bois-forêt à la gestion de l’après-catastrophe : dès 2001, l’ONF tire les leçons de cette expérience et sensibilise la filière à travers la diffusion de contenus spécialisés, qui préconisent notamment de miser, autant que faire se peut, sur la régénération naturelle des milieux impactés. Un protocole, baptisé REGENAT, est mis en place, qui permettra, au cours des années et décennies suivantes, de privilégier cette méthode sur 65 % des surfaces détruites. « Reconstituer une forêt, c’est un projet de long terme », explique Brigitte Pilard-Landeau, selon qui « il nous aura fallu plus d’une dizaine d’années pour retrouver un paysage forestier après ces tempêtes ».

Les forestiers, les « infirmiers » de la forêt abîmée

Forts de leur expérience accumulée au cours des vingt dernières années, les forestiers sont donc, à nouveau, en première ligne pour secourir la forêt après le passage de Ciaran. À la manière d’infirmiers ou d’urgentistes – mais qui assureraient leur mission sur le long terme –, ceux-ci déploient, dès la tempête passée, tout leur savoir-faire pour évaluer les dégâts, préserver ce qui peut l’être et penser, déjà, à l’avenir. Dans un premier temps, l’urgence est de sécuriser les parcelles affectées par les éléments : alors que Ciaran s’éloignait, l’ONF a invité « les usagers à éviter les déplacements dans les forêts » des régions les plus touchées et ce jusqu’à plusieurs jours après la fin de la tempête. « Après un coup de vent, tous les arbres ne tombent pas d’un seul coup », a précisé l’organisme.

Une fois la sécurité assurée, vient ensuite le temps de rétablir l’accessibilité en forêt. Il s’agit, notamment, de dégager des voies permettant aux engins des forestiers de circuler sans risque. Puis commence le temps du diagnostic à proprement parler : les forestiers s’attachent alors à cartographier et à évaluer les dégâts causés par la tempête, afin de planifier avec précision les futures actions de reconstitution. Une étape délicate car, une fois le calme revenu, « une nouvelle géographie forestière est créée avec des structures végétales profondément transformées, des arbres à terre, d’autres cassés ou encroués », relève le géographe Yves Petit-Berghem. « Une perte de repère », « un bouleversement des paysages » qui ne peuvent « laisser insensible le forestier ou toute personne fréquentant la forêt ».

La filière sensibilise le grand public sur la sécurité

Ensuite seulement, les forestiers sélectionnent les arbres qu’il faudra enlever et ceux qui resteront sur pied afin de soutenir le processus de régénération naturelle. Les acteurs de la filière planifient soigneusement la reconstitution de la forêt, en privilégiant sa régénération naturelle et la diversité des essences. Après avoir évalué l’impact de la tempête sur le devenir des jeunes pousses, les forestiers observent et accompagnent le renouvellement et la croissance des arbres, au besoin en plantant de nouvelles essences. Comme le leur a appris la tempête de 1999, l’important est de ne pas confondre vitesse et précipitation : pour le bien de la forêt, certes, mais aussi pour celui de ses usagers, de ses professionnels et de ses visiteurs.

Car l’urgence post-tempête ne doit pas faire passer au second plan l’important enjeu de la sensibilisation du grand public. Pas question, en effet, d’aller soi-même dégager les parcelles que l’on possède ou que l’on aime visiter : « cela peut être très dangereux », met en garde Alain de Kernier, président de Fransylva Bretagne, « il faut donc faire appel à des bûcherons professionnels ». « Il faut faire très attention avec les branches tordues », poursuit le patron du syndicat des propriétaires forestiers de la région, car « elles sont comme des ressorts (…) et cela peut blesser grièvement. Un professionnel saura comment procéder en toute sécurité ». Des conseils qui valent toujours plusieurs jours après la tempête et pour les semaines et mois à venir.