L’excès de gibier, une menace pour les forêts ?

L’excès de gibier, une menace pour les forêts ?
Les populations de cervidés se sont beaucoup développées ces trente dernières années, créant un « déséquilibre forêt-gibier » qui pourrait, à terme, empêcher la pousse normale de certaines essences. Forestiers et chasseurs estiment qu’il est urgent de s’entendre pour parvenir à un équilibre.

Le feu, qui vient de réduire en cendres plus de 20 000 hectares de forêt en Gironde, n’est pas le seul danger auquel doivent faire face les surfaces forestières françaises. Le gibier qui habite les forêts de l’Hexagone, et se nourrit principalement des jeunes arbres, menace directement leur développement, et, in fine, celui de la biodiversité forestière.

 

Le cerf est présent dans 50% des surfaces boisées nationales

« La forêt, aujourd’hui en France, est à un tournant de son histoire, estime Pierre Brossier, ingénieur forestier au CNPF et CRPF Bretagne-Pays de la Loire. Les populations de cervidés sont très importantes ; elles se sont fortement développées ces 30 dernières années ». Selon l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), le cerf est présent dans près de 50 % des surfaces boisées nationales, contre 25 % en 1985 ; quant au sanglier, « sa population a été multipliée par six en trente ans » rappelle Renaud Klein expert national pêche et équilibre forêt-gibier à l’ONF. 

La surpopulation des cervidés et des sangliers en forêt cause de nombreux dégâts au sein des forêts. Par exemple, la consommation des jeunes pousses par les cervidés (aussi appelé “abroutissement” de semis ou de plants) entraîne le ralentissement de la croissance voire la disparition de l’essence consommée. Du côté des sangliers, c’est tout simplement l’arrachage des plants, lorsqu’ils sont à la recherche de vers pour se nourrir, qui est redouté, ou la consommation de graines en trop grande quantité (glands, châtaignes, etc.).

Ces menaces sont une préoccupation supplémentaire pour les forestiers qui tentent de prévenir les dégâts et limiter leurs effets sur les espaces forestiers. Mais tout ceci a un coût : on estime que la surabondance des grands animaux en forêt coûte environ 15 millions d’euros à l’ONF, chargée de protéger les essences ou de les replanter… Pour le propriétaire forestier, « c’est une partie de son investissement (plantation) ou de la capacité de régénération de son peuplement (régénération naturelle) qui est amputée irrémédiablement, pointe du doigt Fransylva, la fédération des syndicats de forestiers privés.

 

Savoir quantifier les dégâts pour mieux protéger

D’où l’importance, selon la fédération, d’évaluer et quantifier les dégâts. Pour ce faire, une grille d’évaluation a été mise en place par des spécialistes de la forêt : « Moins de 15 % de taux de dégât, c’est la part naturelle, car les animaux font partie des écosystèmes forestiers, ils ont le droit de manger, explique Pierre Brossier. Entre 15 et 25 %, attention au danger, la situation peut vite basculer et requiert donc une vigilance plus accrue en fonction des objectifs ». Au-delà de 25 %, un quart de l’investissement est déjà perdu ; il est « en péril », indique l’ingénieur forestier, et l’avenir d’une parcelle de forêt est dès lors mis en jeu…

Raison pour laquelle il est urgent, estiment certains acteurs, de trouver un « équilibre forêt-gibier », ou la « conciliation entre une présence durable de la faune sauvage et la rentabilité économique des activités sylvicoles », explique la préfecture du Bas-Rhin. Cet équilibre consiste à trouver un point de balance entre la population animale, l’écosystème et les différents acteurs (chasseurs, forestiers, propriétaires, etc.). Ceci alors qu’ « il n’existe pas une situation d’équilibre mais des situations d’équilibres qui sont propres à chaque territoire et qui sont à définir conjointement entre les acteurs », précise la préfecture.

Certains programmes existent, à ce titre, comme celui intitulé « Prise en compte des dégâts de grand gibier en forêt », mené par la fédération Fransylva, les coopératives forestières et ses partenaires, qui « vise à identifier et à caractériser les différents outils d’évaluation et de signalement de la pression et des dégâts sur les peuplements forestiers, publics et privés », explique Isabelle Flouret, responsable de projets chez Fransylva. L’idée étant de « déboucher sur un outil cartographique des dégâts à l’échelle nationale », grâce à une procédure qui convienne à tout type de forêt, et qui puisse générer des données fiables et communes sur tout le territoire hexagonal.

De son côté, Pierre Brossier l’assure : il est possible de « concilier une belle population de cervidés et une forêt gérée durablement, qui se renouvelle sans protection artificielle ». Comment ? En créant, selon lui, « une équipe collégiale constituée de chasseurs, de forestiers et, si possible, de personnes de l’administration, [afin d’] étudier les pratiques de chasse, de gestion forestière [et mettre] en place des actions pour rétablir l’équilibre forêt-gibier ». « Il faut avoir une forêt économiquement viable tout en ayant une quantité suffisante d’animaux pour maintenir une chasse durable dans le temps », fait de son côté valoir Jacky Pallu, chasseur qui milite pour l’équilibre forêt-gibier.