« Il est possible d’allier production de bois, captation de carbone et biodiversité »

« Il est possible d’allier production de bois, captation de carbone et biodiversité »
La Journée Internationale des Forêts est l’occasion de sensibiliser les citoyens aux forêts et à leurs fonctions, mais aussi de susciter des rencontres entre les forestiers et les professionnels du bois et le grand public. Entretien avec Lionel Say, Directeur Général de CFBL, coopérative forestière, qui a pour mission de gérer les forêts durablement et de contribuer à approvisionner en bois l’industrie. 

Que souhaitez-vous que le grand public retienne des échanges qu’ils pourront avoir avec les forestiers à l’occasion de la Journée Internationale des Forêts ? 

Un véritable échange doit s’instaurer entre les forestiers et le grand public. Parce que la forêt nous entoure, fait partie de notre paysage, de notre quotidien, elle est perçue comme banale et simple. De ce fait, chacun pense pouvoir en comprendre les ressorts. Or, c’est tout le contraire : la forêt est un milieu complexe, aux enjeux multiples et les attentes de la société sont également complexes. C’est pourquoi, tout ce qui favorise la rencontre et la compréhension entre le grand public et les professionnels de la filière bois et forêts est positif.

Tout ce qui favorise la rencontre et la compréhension entre le grand public et les professionnels de la filière bois et forêts est positif.

En quoi consiste le métier de forestier ?

Le rôle du forestier est triple. Tout comme l’agriculteur est chargé de nourrir la population, le forestier est chargé de répondre aux besoins en bois de la population : pour la construction, l’emballage, le papier, le chauffage…

La forêt est à la fois un moyen de lutter contre le changement climatique, et à la fois une victime de ce changement climatique. Elle est un moyen de lutte puisque plus un arbre pousse, plus il capte de carbone. Elle est victime du changement climatique, car celui-ci est si rapide que la forêt n’arrive pas à s’y adapter, et provoque sa mort.  Dans ce cadre, le rôle du forestier est de rendre les forêts productives (plus de carbone capté) et de les adapter aux besoins en bois de la société (plus de carbone stocké dans le matériau bois).

Son rôle est aussi de trouver les moyens d’adapter la forêt au changement climatique. Dans certains cas, les essences actuelles sont vulnérables, comme l’Épicéa et l’Hêtre en plaine, et ne résisteront pas au changement climatique. Ces essences doivent être remplacées par des plantations d’arbres plus résistantes. Sans cette action du forestier, certaines de nos plus belles forêts vont disparaitre. Elles ne rempliront plus leur rôle vis-à-vis de la captation de carbone et de production de bois pour les populations.

Enfin, le forestier préserve, voire améliore la biodiversité. La forêt est un havre de biodiversité, refuge de nombreux oiseaux, insectes et tous petits organismes. Le forestier doit rechercher à protéger et à accroître cette biodiversité.

Le forestier préserve, voire améliore la biodiversité.

Quels sont selon vous les atouts des métiers de la foresterie ? Quelle est la place des femmes dans ces métiers ?

Ce sont des métiers extrêmement diversifiés. Ils font partis des rares métiers qui ont l’avantage de se dérouler au contact avec la nature, avec le vivant. Ce sont soit des métiers manuels, ou l’on fait appel à l’intelligence et au savoir-faire des opérateurs (ouvriers sylvicoles, bucherons, chauffeurs de minipelle, de récolteuse ou de porteur). Ce sont également des métiers techniques ou l’on fait appel aux sciences (pédologie, botanique, sylviculture), mais également au sens de la persuasion et à l’économie pour conseiller le propriétaire forestier.  L’ensemble de ces métiers sont ouverts aux femmes. Elles y réussissent parfaitement. A CFBL par exemple, la moitié de nos responsables d’agence en Limousin comme en Auvergne sont des femmes. De vrais progressions sont possibles dans les métiers forestiers.

Les traces du changement climatique sont palpables dans les forêts. Comment cet enjeu est-il pris en compte par la profession et quelles sont les pistes de recherche des forestiers pour maintenir les arbres en bonne santé ?

Le changement climatique est la question qui préoccupe le plus les forestiers. Il est palpable, et fait déjà des ravages en forêt. Autrefois, quand un peuplement arrivait à maturité, le forestier se contentait de regarder s’il était beau et avait bien poussé. Si c’était le cas, il était renouvelé à l’identique. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.  Une espèce d’arbre qui a bien poussé, pourra ne plus être adaptée au climat qu’il y aura dans 10 ans, 30 ans ou 70 ans.  Le temps long du cycle de vie des arbres impose des réflexions et des projections sur le long terme. Le forestier travaille de façon différente : analyse approfondie du sol (réserve utile en eau des sols par exemple), nouvelles techniques de reboisement, plus résilientes au changement climatique (eco-reboisement® par exemple), nouvelles provenances d’une essence (provenance plus méridionales par exemple), substitution d’essence (une espèce d’arbre est remplacée par une ou plusieurs autres espèces). Le forestier a besoin de la recherche : amélioration génétique pour sélectionner les arbres plus résistants aux canicules et aux sécheresses, recherches sur la conduite des peuplements en place…. Les enjeux sont considérables, puisqu’il s’agit de sauver notre forêt victime du changement climatique.

« Le changement climatique est la question qui préoccupe le plus les forestiers. »

Le bois est un matériau de construction prisé pour réduire les émissions de CO2 des bâtiments neufs en se substituant à d’autres matériaux dont la production émet des GES. Comment concilier utilisation du bois et préservation des écosystèmes forestiers, 2e plus grand puits de carbone de la planète ?

Produire du bois qui permet de réduire les émissions de CO2 des bâtiments neufs, n’est absolument pas incompatible avec la préservation des écosystèmes forestiers. Lorsque sous l’impulsion de Colbert, il a été décidé de planter la forêt de Tronçais (une des plus belles forêts de chênes françaises), les forestiers avaient en ligne de mire la production de bois. Pourtant, nous avons un écosystème qui fonctionne bien et capte le carbone. Il en va de même pour les forêts de Pin maritime ou de Douglas. Il est toujours possible d’allier production de bois, captation de carbone et biodiversité. Un certain nombre de précautions sont à prendre, notamment pour ce qui concerne la biodiversité. En revanche en ce qui concerne la captation de carbone, plus une forêt est productive, plus elle capte de carbone.

Produire du bois qui permet de réduire les émissions de CO2 des bâtiments neufs, n’est absolument pas incompatible avec la préservation des écosystèmes forestiers.

Certaines associations environnementales dénoncent une industrialisation à marche forcée des forêts. Qu’en pensez-vous ?

Cette remarque vise essentiellement la récolte de bois. Nous sommes passés en un siècle du passe-partout, à la scie à chaine, de la scie à chaine à la tronçonneuse, de la tronçonneuse aux récolteuses. La transformation des techniques de récolte est spectaculaire ! Je ne pense pas que cela soit une mauvaise chose. Tout d’abord, il était important d’améliorer les conditions de vie et de sécurité des travailleurs en forêt. De ce point de vue, les progrès sont spectaculaires tant sur la sécurité que sur les conditions de travail des opérateurs. Le risque métier pour un bucheron à pied est infiniment plus grand que pour un chauffeur de récolteuse. Enfin, un salarié sur une récolteuse gagne bien souvent mieux sa vie qu’un bucheron.

Ces moyens modernes de récolte ont-ils augmenté la récolte ? La réponse est non. La production de bois en France est stable depuis des années, et on ne récolte toujours que la moitié du cru de la forêt.

Ces moyens de récolte modernes font-ils des dégâts ? Oui, s’ils sont mal utilisés. Mais dans ce cas, ce sont les modalités d’utilisation (exemple débardage par temps très humide) qui doivent être dénoncés, pas l’outil. En effet, les efforts des constructeurs d’engins de récolte ont considérablement amélioré la performance de ces machines par rapport à la protection des sols (pneus larges, basse pression, nombre de roues importantes …).

La production de bois en France est stable depuis des années, et on ne récolte toujours que la moitié du cru de la forêt.

Des incivilités sont régulièrement commises au sein des exploitations forestières. Percevez-vous une banalisation de ces actes malveillants ?

Il y a de plus en plus d’incivilités. Mais peut-on parler d’incivilités, lorsqu’il s’agit d’inscriptions haineuses sur les panneaux de chantier, de menaces, d’engins ou de bâtiments saccagés (comme à l’ONF) ou incendiés (comme à MECAFOR) volontairement ? C’est plus grave que cela. Ces actes sont de plus en plus fréquents. Ils reflètent un problème de société, plus qu’un simple problème forestier. Dans quelle mesure, une société démocratique, peut-elle laisser s’installer des zones de non droit ?  Aujourd’hui, nous voyons les forêts atteintes par ce phénomène. La plupart des associations environnementales condamnent ces actions. Pas toutes, et cela pose un problème. Nous devrons en tirer collectivement les conclusions.

Etes-vous optimiste pour l’avenir ?

Quand je regarde la folie des hommes, avec la guerre en Ukraine, je suis pessimiste et malheureux. A l’inverse, lorsque je regarde les mouvements de solidarité, l’accueil des Ukrainiens en Europe je suis optimiste, et me dis que l’on peut progressivement reconstruire un monde meilleur. Si vous voulez une image, la guerre en Ukraine, c’est le changement climatique avec tout ce qu’il comporte à terme comme ravage ; la solidarité, l’accueil des Ukrainiens, ce sont les actions de toutes les femmes et hommes de bonne volonté qui se battent pour améliorer la vie. Les forestiers font partie de ceux-là.