Filière textile : l’économie sociale et solidaire poussée vers la sortie ?

Filière textile : l’économie sociale et solidaire poussée vers la sortie ?
La refonte de la filière textile et de responsabilité élargie des producteurs (REP), le linge de maison et les chaussures (TLC) fait grincer bien des dents. Et parmi les plus inquiets : les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), historiquement impliqués dans la collecte et la valorisation des vêtements usagés. Alors que l’éco-organisme Refashion mène la réforme à marche forcée, un climat de défiance s’installe. En toile de fond : la crainte que ces structures, engagées depuis des décennies dans le recyclage textile à finalité sociale, soient tout bonnement écartées du nouveau modèle en construction.

Une réforme censée accélérer la circularité de la filière textile

Engagée depuis plusieurs années, la réforme de la REP TLC vise à renforcer la circularité du secteur textile, un des plus polluants au monde. Elle impose aux producteurs – marques, distributeurs, importateurs – de financer la gestion de fin de vie de leurs produits, notamment à travers la collecte, le tri et la valorisation.

Mais derrière les intentions écologiques affichées, la mise en œuvre laisse planer de nombreuses incertitudes. Refashion, l’éco-organisme chargé d’opérer cette mission au nom des metteurs sur le marché, semble vouloir revoir entièrement la gouvernance de la filière, avec pour objectif affiché une plus grande efficacité et une montée en puissance industrielle.

L’ESS, partenaire historique en danger

C’est justement cette volonté de rationalisation qui inquiète profondément les structures de l’ESS, comme Emmaüs, Le Relais ou encore Tissons la solidarité. Historiquement associées à la collecte des TLC, ces associations ont su bâtir un modèle alliant emploi inclusif, réemploi massif et sensibilisation citoyenne. Elles traitent chaque année des dizaines de milliers de tonnes de textiles, avec une logique sociale forte et une approche non lucrative.

Mais depuis plusieurs mois, les signaux envoyés par Refashion sont jugés alarmants. En novembre 2024, l’éco-organisme a pris publiquement ses distances en affirmant sa volonté de se doter « de nouveaux opérateurs plus spécialisés » et « d’une logique de filière performante, structurée sur des bases industrielles ». Une déclaration perçue comme un désaveu par les structures de l’ESS, qui redoutent d’être remplacées par des géants du traitement des déchets, mieux armés financièrement, mais sans ancrage territorial ni vocation sociale.

Des tensions croissantes et peu de dialogue

Le dialogue entre Refashion et les acteurs de l’ESS est aujourd’hui très tendu. Plusieurs associations dénoncent une concertation de façade, où les décisions seraient en réalité déjà actées. Selon elles, les appels d’offres lancés pour organiser la collecte et le tri sur le territoire seraient taillés sur mesure pour les opérateurs industriels, au détriment des structures historiques.

Une mise à l’écart progressive qui pose question. Car la loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire) votée en 2020 avait pourtant réaffirmé le rôle central de l’ESS dans la transition écologique. La réduction du gaspillage textile ne peut-elle se faire sans sacrifier des emplois d’insertion, des savoir-faire locaux, et une vision plus humaine de l’économie circulaire ?

Un enjeu de société au-delà de la filière textile

Derrière cette réforme de la REP se joue en réalité un débat plus large : celui du modèle de transition écologique que souhaite adopter la France. Faut-il privilégier l’industrialisation et la massification à tout prix, ou préserver des approches hybrides qui mêlent performances environnementales et utilité sociale ?

Pour les acteurs de l’ESS, la réponse est claire. Ils ne refusent pas le changement, ni la montée en puissance nécessaire de la filière textile. Mais ils réclament d’être associés de manière équitable à cette transformation. D’autant qu’ils ont démontré leur efficacité depuis des années : un tiers des vêtements collectés sur le territoire le sont aujourd’hui par des structures de l’ESS, souvent avec des taux de réemploi supérieurs à la moyenne.

Un arbitrage attendu du côté de l’État

Face à ces tensions, l’État se retrouve désormais en position d’arbitre. Le ministère de la Transition écologique et l’ADEME (Agence de la transition écologique) sont appelés à clarifier la feuille de route. Le maintien d’une filière textile durable, transparente et juste passe sans doute par une gouvernance partagée, où acteurs économiques, collectivités et associations peuvent co-construire les solutions.

À l’heure où la fast fashion continue de produire à un rythme effréné, et où les montagnes de vêtements jetés s’accumulent, écarter les structures qui œuvrent concrètement pour un autre modèle semble pour beaucoup un contresens.

L’avenir de la REP textile ne se jouera donc pas seulement dans les centres de tri, mais dans la capacité collective à concilier performance industrielle et responsabilité sociale. Un équilibre fragile… mais essentiel.