Nuisibles : l’hylobe, un défi de plus pour les forêts françaises

Nuisibles : l’hylobe, un défi de plus pour les forêts françaises
Alors que les forêts françaises font déjà face aux conséquences du dérèglement climatique, les attaques de ravageurs se multiplient aux quatre coins du pays. Célèbre, le scolyte sténographe, n’est pas le seul à menacer les forêts. L’hylobe, un autre insecte xylophage, s’attaque quant à lui aux jeunes plantations de résineux. En association avec les scientifiques, l’interprofession France Bois Forêt a développé un programme de lutte contre ce ravageur à l’appétit dévorant.

 C’est la petite bête qui monte, qui monte, qui monte… Si la comptine continue de faire rire les enfants, cela fait déjà quelques temps que la petite bête ne fait plus rire, du tout, les forestiers. Dans de nombreuses forêts de France, déjà mises à rude épreuve par le dérèglement climatique et son cortège d’incendies, sécheresses et autres tempêtes dévastatrices, la multiplication des insectes ravageurs du bois fait peser une menace supplémentaire sur des écosystèmes déjà fragilisés. Depuis plusieurs années, la prolifération des scolytes, ces insectes xylophages dont les larves rongent le bois des pins et autres épicéas, met à mal les forêts de l’est du pays, décimant des hectares entiers de résineux. Une seule solution s’impose alors : la coupe.

C’est cette « double peine » qui s’abat aussi sur les forêts de Gironde. Après les terribles incendies de l’été 2022, au terme desquels 30 000 hectares étaient partis en fumée, la forêt de La Teste-de-Buch a dû faire face à l’invasion des scolytes sténographes, qui trouvent dans les arbres affaiblis un mets de choix. Conséquence, « l’année 2023 (fut) aussi cruelle et dramatique que l’incendie » de 2022, se désole Matthieu Cabaussel, représentant des Syndics généraux de la forêt usagère. Alors que de vastes campagnes d’abattage ont dû être menées pour tenter de juguler le phénomène, Hervé Jactel, de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), met quant à lui en garde contre « une vraie bombe à retardement : si l’on ne fait rien, le printemps 2024 va être plusieurs milliers de fois plus dangereux » que le feu lui-même.

L’hylobe, la terreur des jeunes plantations de résineux

Un printemps d’autant plus craint que le scolyte n’est pas le seul ravageur à proliférer. Moins médiatisé que son cousin, l’hylobe (Hylobius abietis), un charançon présent sur la totalité du territoire métropolitain, est aujourd’hui le plus important ravageur des reboisements résineux au cours de leurs premières années. Au printemps, les adultes pondent leurs œufs dans les racines des souches des résineux qui viennent d’être coupés. Au bout de quelques semaines, les larves pénètrent sous l’écorce des racines et y creusent des galeries. Une fois adulte, l’hylobe va, après la période d’hivernage, s’envoler à la recherche de nouvelles zones où poussent de jeunes arbres.

C’est à ce moment que les dégâts commencent. Peu avant de se reproduire et de mourir, les individus adultes se goinfrent d’écorce de jeunes plants résineux. Leurs morsures, visibles à l’œil nu, décorcent les pins et épicéas de moins de deux ans ; la résine qui s’écoule de ces plaies attire de nouveaux hylobes, qui peuvent alors arriver en masse sur une plantation. En quelques jours seulement, un jeune reboisement entier peut ainsi être décimé, particulièrement s’il intervient après une coupe rase et si de nombreuses souches fraîches, accueillant les larves d’hylobe, sont encore présentes sur place. Les forêts de résineux, déjà affaiblies par le réchauffement climatique et le manque d’eau, sont alors en sursis.

Le pin, un incontournable de nos forêts françaises

 Parfois décriés, les résineux – et, parmi eux, le pin, dont la quinzaine d’espèces implantées en France couvrent 2,7 millions d’hectares, soit 16 % des surfaces forestières du pays – occupent pourtant une place de choix dans la forêt française. Majoritairement distribuées entre pins sylvestres et pins maritimes, leurs plantations sont disséminées à travers la quasi-totalité du territoire, de la plaine aux montagnes. Et pour cause : particulièrement frugal et résistant, le pin est utilisé tant dans l’énergie que la fabrication du papier, les emballages que les travaux publics, en passant par l’aménagement intérieur et certains sous-produits comme les cires, les huiles ou encore l’essence de térébenthine. De nombreux usages et des débouchés variés, qui fournissent environ 100 000 emplois non délocalisables.

La multiplication des hylobes et autres scolytes ne menace donc pas que les pins, mais l’ensemble des forêts concernées ainsi que les hommes et femmes qui en dépendent. Pour lutter contre les méfaits de l’hylobe sur les jeunes plantations de résineux, France Bois Forêt a mis sur pied « Luthyl », un programme mené conjointement par des chercheurs de l’Inrae et l’ONF (Office national des forêts), l’IEFC (Institut européen de la forêt cultivée), le GCF (Groupe coopération forestière) et l’Institut technologique FCBA. Non sans succès puisque les premiers essais de piégeage de l’hylobe (mis en place au cours de l’été dernier pour assurer le suivi des populations d’insectes) se sont révélés concluants. De plus, le système de signalement des dégâts pourra permettre, grâce à des notifications régulières, d’informer tous les utilisateurs de l’application des dommages occasionnés par le charançon dans une région en particulier.

Une application qui fait remonter les alertes et planifie les traitements

 L’application développée par France Bois Forêt fonctionne donc comme un vrai système d’alerte, qui permet de détecter l’émergence des ravageurs sur un territoire et de planifier les traitements. Enfin, le programme produit la connaissance nécessaire au traitement de ce problème complexe : « les alertes produites par les usagers de cette application serviront aux scientifiques pour analyser la distribution géographique des dégâts du grand charançon du pin », explique Catherine Collet, de l’Inrae, selon qui « ces données pourront être couplées aux données de répartition et aux suivis temporels réalisés grâce aux pièges ». De quoi faciliter la mise en œuvre de stratégies de lutte efficaces et innovantes contre cette nouvelle menace qui plane sur nos forêts.