« L’impact environnemental de notre alimentation dépend essentiellement de la part des produits animaux dans notre assiette », Michel Duru

« L’impact environnemental de notre alimentation dépend essentiellement de la part des produits animaux dans notre assiette », Michel Duru
Quels sont les effets de nos habitudes alimentaires sur l'environnement ? Michel Duru, directeur de recherches et chargé de mission à l’INRAE revient sur cet impact environnemental ainsi que sur les alternatives à disposition pour adopter une alimentation plus respectueuse de l'environnement.

Quels effets ont nos habitudes alimentaires sur l’environnement ? 

L’impact environnemental de notre alimentation comprend les ressources nécessaires pour produire l’alimentation (surfaces, énergie et eau), ainsi que les pollutions, principalement les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique et celles d’azote qui contribuent à l’eutrophisation des eaux. L’agriculture correspond à presque 20% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France, auxquelles il faut rajouter celles liées à la transformation, la distribution et la consommation des aliments, soit environ 50% en plus[1].

L’impact environnemental de notre alimentation dépend essentiellement de la part des produits animaux dans notre assiette, principalement de la viande rouge (bovin et ovin). En moyenne, les produits animaux correspondent à plus de 80% des GES et de la surface nécessaire pour se nourrir ; et ces valeurs sont de plus de 60% pour la seule viande rouge[2].

Cette contribution importante des produits animaux vient du fait que les ressources et les impacts pour produire 100g de protéines sont bien plus élevés pour les produits animaux, de 5 (porc, volaille, fromage) à 10 fois (viande rouge) que pour la production d’une même quantité de protéines végétales, à partir de légumineuses par exemple[3].

Un régime alimentaire typique en France correspond à une surconsommation de protéines par rapport aux besoins (au moins 30%) et une part plus importante de protéines animales (65%) que de protéines végétales. Ne pas dépasser les recommandations et équilibrer les protéines végétales et animales, notamment en réduisant de moitié la consommation de viande, permettrait de diviser presque par deux le besoin en ressources et les impacts.

Selon l’IRI, les prix des produits alimentaires en France ont augmenté de 13,85% en un an. Est-il possible d’avoir des habitudes alimentaires plus respectueuses de l’environnement avec un pouvoir d’achat réduit ?  

Avoir des habitudes plus respectueuses de l’environnement nécessite de manger plus végétalisé ainsi que plus de produits de saison pour éviter qu’ils ne soient cultivés sous serre ou viennent de loin. Ces choix permettent aussi de réduire les coûts alimentaires. Il importe aussi de moins consommer d’aliments ultra-transformés dont les ingrédients sont issus d’une agriculture intensive et proviennent souvent des « quatre coins du monde », alors qu’ils sont généralement très bon marché[4]. L’équation n’est donc pas simple ! De toute évidence, manger sain et durable sans se ruiner nécessite de faire plus la cuisine.

La popularisation des produits bio et locaux change-t-elle vraiment la donne ? 

La consommation de produits bio est meilleure pour la biodiversité et pour notre santé car il y a beaucoup moins de résidus de pesticides dans les produits végétaux. L’agriculture biologique permet aussi de rendre plus de services à la société comme la séquestration de carbone et l’épuration de l’eau. Cependant, les rendements agricoles étant moindres qu’en agriculture conventionnelle il faut plus de surface pour se nourrir à régime alimentaire inchangé. De même, d’autres impacts, comme les pertes d’azote par kg de produits sous forme d’ammoniac peuvent être plus élevées en agriculture biologique lorsque la fertilisation est apportée sous forme de fumier. Cependant, réduire la consommation de viande fait plus que contrebalancer les quelques désavantages des produits issus de l’agriculture biologique. Ainsi diviser sa consommation de viande par deux permettrait de consommer bio tout en réduisant la surface nécessaire pour se nourrir de 24% et les émissions de gaz à effet de serre de 35%[5].

Manger local est plutôt positif pour l’environnement à condition que les quantités transportées par km parcouru soient les plus élevées possibles. Cela implique que le producteur se déplace pour de grosses quantités et que le consommateur fasse peu plus souvent ses courses à proximité pour une (plus grande ?) diversité de produits. Les marchés ou magasins de producteurs se prêtent à cette double exigence.

Un régime alimentaire sans viande est-il la solution ?

Compte tenu de l’effet très important de la consommation de viande sur le besoin en ressources et sur les impacts environnementaux, il peut sembler souhaitable de supprimer la viande. Les travaux scientifiques montrent que ce n’est pas le mieux pour l’environnement pour des raisons différentes selon qu’il s’agit des ruminants (vaches et brebis) ou des monogastriques (porcs et volailles).

Deux grands modes d’alimentation peuvent être distingués pour les ruminants :

  • L’alimentation à base de maïs et de soja entre en compétition avec notre alimentation et elle contribue à la déforestation ; c’est pourquoi il faut réduire le plus possible ces types d’élevage qui sont majoritaires pour les élevages laitiers ;
  • L’alimentation à base d’herbe présente un intérêt car les prairies fournissent des services environnementaux[6];

Enfin, les élevages laitiers produisent aussi de la viande : les animaux mâles et les vaches laitières de réforme (en fin de vie) ; donc consommer du lait amène à produire de la viande.

En résumé, on peut considérer que les surfaces disponibles en prairies permettraient d’avoir une production de lait et de viande suffisante[7]. Cela aurait l’avantage de libérer 4 à 6 millions de terres arables qui pourraient être utilisées pour autre chose[8].

Bien que la production de viande de porc et de volaille ait moins d’impacts sur l’environnement que la production de viande ruminants, leur alimentation entre à 85% en compétition avec la nôtre ; le reste venant de co-produits de l’agriculture ou de l’industrie agro-alimentaire. Il n’est donc pas souhaitable de supprimer totalement ces productions. C’est pourquoi il faut consommer de la viande (et des laitages) qui sont issues de vaches alimentées à l’herbe[9].

La plupart des travaux scientifiques convergent vers la réduction de moitié des différents types de viande consommées notamment pour raisons environnementales, sans que cela n’affecte notre santé.

Au-delà des labels, existe-t-il des outils d’évaluation pour aiguiller les consommateurs ?

Les cahiers des charges et scores (notation des produits) répondent à un besoin croissant d’informations et de transparence pour les consommateurs, mais leur multiplicité conduit à de la confusion.

Les labels publics sont les AOC (une dizaine pour les viandes), les labels Rouge et l’Agriculture Biologique. Le dernier né est le label HVE (Haute valeur environnementale). Ils ont la particularité d’être tous basés sur des conditions de production bien définies qui précisent ce qui est obligatoire ou interdit[10]. A ceux-ci s’ajoutent des labels privés dont Bleu Blanc Cœur qui a la particularité supplémentaire de s’engager sur un résultat en termes de valeur santé et d’impact environnemental. La comparaison d’une quinzaine de labels, certifications, marques privées, démarches de progrès pour leurs impacts sociaux, économiques et environnementaux pour cinq problématiques centrales (biodiversité, climat, santé humaine, bien-être animal et atteinte d’un revenu décent pour l’agriculteur) montre des niveaux très différents d’ambitions en termes de durabilité et d’atteinte de ces ambitions[11]. Ainsi, des différences s’observent entre productions animales ayant le même label : le label rouge est plus ambitieux pour le poulet que pour le porc. Les fromages Comté et Cantal, tous deux ayant le label AOP, ont des notes respectivement élevées et faibles tant pour les composantes environnementales que sociales de l’évaluation. Par ailleurs, une étude récente confirme la faible ambition du label HVE[12]. Néanmoins, les produits issus d’une agriculture avec cahiers des charges publics ou privés présentent en général des atouts pour la santé et/ou l’environnement que les produits provenant d’une agriculture conventionnelle n’ont pas. Ces atouts proviennent surtout des services que ces formes d’agriculture fournissent à la société.

Pour aller plus loin, le gouvernement a lancé l’élaboration d’un score environnemental, à l’image du Nutriscore pour la valeur nutritionnelle des produits alimentaires. Une initiative publique, appelée Eco-score, est en cours[13]. Elle s’appuie d’abord sur l’analyse du cycle de vie (ACV) en utilisant la base de données d’Agribalyse. Mais cette base de données ne contient que des moyennes d’impacts par produit (gaz à effet de serre, eutrophisation des eaux…). Il n’est donc pas possible de tenir compte des pratiques agricoles effectives qui dépendent des modes de production. C’est pourquoi un système de bonus/malus est proposé pour prendre en compte certaines caractéristiques du système de production (bio …), la saisonnalité pour les fruits et légumes (malus si hors saison), l’origine pour le transport et la recyclabilité de l’emballage. Lors de la phase d’expérimentation en cours, des acteurs privés se sont fédérés pour construire un score prenant mieux en compte les modes de production. Ainsi, le Planet-score combine l’ACV pour comparer des catégories d’aliments pour quatre enjeux (santé et toxicité environnementale, biodiversité et écosystèmes, climat, ressources), et des indicateurs complémentaires pour comparer des aliments au sein d’une même catégorie[14]. Il s’agit de la biodiversité (pesticides, antibiotiques, pratiques agricoles, origine de la production, irrigation), du climat (déforestation, transport avion, stock de carbone, engrais de synthèse, approvisionnement local et produits hors saison), et de l’environnement (pesticides et antibiotiques). D’une manière générale, le Planet-score prend bien mieux en compte les impacts des pratiques agricoles sur la biodiversité que l’Eco-score si bien que les produits issus d’une agriculture écologique (bio…) sont mieux notés, alors que l’inverse est observé avec l’Eco-score, surtout car les rendements sont meilleurs et les émissions par unité de produit généralement plus faibles.

[1] https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/779-empreinte-energetique-et-carbone-de-l-alimentation-en-france.html

[2] https://solagro.org/travaux-et-productions/publications/le-revers-de-l-assiette

[3] https://theconversation.com/elevage-proteines-animales-et-proteines-vegetales-ce-quil-faut-savoir-pour-y-voir-plus-clair-194271

[4] http://www.anthonyfardet.com/3v/

[5] https://solagro.org/travaux-et-productions/publications/le-revers-de-l-assiette

[6] https://afpf-asso.fr/article/la-prairie-dans-tous-ses-etats-1-une-approche-multiniveaux-et-multidomaines-de-ses-atouts-pour-l-agriculture-et-la-societe

[7] https://afpf-asso.fr/article/quelle-place-pour-l-elevage-les-prairies-et-les-produits-animaux-dans-les-transitions-agricoles-et-alimentaires

[8] https://www.lafabriqueecologique.fr/les-prairies-et-lelevage-de-ruminants-au-coeur-de-la-transition-agricole-et-alimentaire/

[9] https://theconversation.com/elevage-proteines-animales-et-proteines-vegetales-ce-quil-faut-savoir-pour-y-voir-plus-clair-194271

[10] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/Signe-de-qualite

[11] https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/labels-alimentaires-signes-de-qualite-promesses-non-tenues-une-revision-simpose

[12] https://professionnels.ofb.fr/fr/doc/evaluation-performances-environnementales-certification-haute-valeur-environnementale-hve-dans

[13] https://expertises.ademe.fr/economie-circulaire/consommer-autrement/passer-a-laction/reconnaitre-produit-plus-respectueux-lenvironnement/dossier/laffichage-environnemental/cas-particulier-dispositif-eco-score

[14] https://www.planet-score.org