« La sobriété est encore très peu mise en œuvre dans les transports », Aurélien Bigo (Chaire Energie et Prospérité)

« La sobriété est encore très peu mise en œuvre dans les transports », Aurélien Bigo (Chaire Energie et Prospérité)
Le secteur des transports fait partie des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (GES).  En 2019, il représentait 31 % des émissions françaises. Pour limiter ces émissions de carbone, des mobilités actives (vélos, trottinettes) ou décarbonées (voitures électriques) se mettent en place. Aurélien Bigo, chercheur associé à la Chaire Energie et Prospérité de l’Institut Louis Bachelier fait le point sur ces alternatives. 

Le transport routier représente la majeure partie des émissions carbone du secteur du transport (94%). Pour y remédier, certaines alternatives comme les zones à faibles émissions (ZFE) comptent limiter la circulation des véhicules trop polluants. Cette méthode peut-elle porter ses fruits ?

Les zones à faibles émissions ne régulent l’accès que sur des critères de pollution de l’air, mais pas sur les émissions de CO2 responsables du changement climatique. Leur effet sur le défi climatique ne pourra donc être que mesuré ou indirect. Si jamais le principal effet est de réduire la place de la voiture et d’accélérer le mouvement vers l’électrique, alors l’impact sera positif pour réduire les émissions de CO2. Si en revanche leur effet est essentiellement de renouveler le parc vers de lourds véhicules thermiques plus récents, alors les gains ne seront pas significatifs pour le climat.

Le développement des mobilités douces (vélos, trottinettes) en ville fait-il réellement diminuer les déplacements en voiture ?

A chaque fois qu’un mode de transport se développe, on assiste généralement à des reports de trafics forts depuis plusieurs autres modes de transport. Les proportions varient selon les cas. La part des automobilistes se dirigeant vers le vélo classique ou la trottinette est généralement relativement faible. Le report de l’utilisation des transports en commun vers le vélo peut être une bonne chose dans le cas de bus ou de métros bondés, laissant de la place pour plus de confort pour les usagers actuels, ou permettant d’attirer des usagers provenant de la voiture. Dans le cas de la trottinette, elle peut être utilisée en intermodalité avec les transports en commun. Enfin de manière plus large, selon les modes de transport disponibles, leur accessibilité, les temps de parcours ou leur facilité d’usage, ce sont les trajets effectués qui peuvent changer. Selon les modes à disposition, cela peut modifier la préférence pour des commerces de proximité ou en périphérie, à pratiquer plus souvent ou non le télétravail,ou encore à faire des trajets de longue distance ou pas. 

Il faut donc adopter une vision globale pour faire évoluer les mobilités dans la bonne direction. Et pour la répartition des différents modes de transport, il faut réussir à renverser la hiérarchie qui a pu prédominer ces dernières décennies : celle de privilégier avant tout la voiture, de la compléter par des transports en commun, de seulement avoir considéré le vélo récemment et de ne s’occuper quasiment jamais de la marche. Il faut au contraire privilégier la marche, puis le vélo, les transports en commun, le covoiturage, et enfin la voiture individuelle et l’avion en dernier recours. 

Des alternatives se développent pour réduire les émissions de CO2 des voitures (voiture hybride, voiture électrique…). Ces solutions changent-elles vraiment la donne ? 

Sur les émissions de CO2 et selon les études, la voiture électrique a 2 à 5 fois moins d’émissions que la voiture thermique sur l’ensemble de son cycle de vie en France. Elle est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques, sans non plus être suffisante. De même, elle permet de réduire les émissions de polluants atmosphériques et la pollution sonore, sans les supprimer. En revanche, elle ne change rien sur l’occupation d’espace des voitures, l’accidentalité ou encore l’inactivité physique liée à nos modes de vie sédentaires et nos mobilités passives (comme la voiture). Elle reste coûteuse pour les ménages et la société dans son ensemble. Enfin, elle pose de nouveaux défis en particulier sur l’exploitation des métaux nécessaires à la fabrication des batteries.

Les véhicules hybrides ont des inconvénients similaires à la voiture électrique, et sont moins intéressants pour le climat, car ils restent dépendants des carburants liquides (pétrole essentiellement, ou biocarburants qui sont disponibles en trop faible quantité). Ils ne sont donc pas une solution de long terme. 

Pour une transition globale vers des mobilités plus soutenables, le changement de motorisation est donc une partie de la solution, mais il est loin de régler tous les problèmes.

Quelles sont les solutions concrètes à disposition pour réduire l’impact carbone des modes de déplacement ?

La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) française cite 5 leviers pour réduire les émissions des transports : 

  • la modération de la demande de transport, en retrouvant davantage un aménagement du territoire et des modes de vie plus en proximité ; 
  • le report modal, pour réduire la part de la voiture et de l’avion et se tourner davantage vers la marche, le vélo, le train, les bus et cars ; 
  • l’amélioration du remplissage des véhicules, avec notamment un potentiel important via le covoiturage ; 
  • la réduction de consommation énergétique des véhicules, par la baisse des vitesses et du poids des véhicules, l’écoconduite, ou encore l’efficacité énergétique des moteurs et l’électrification des moteurs ; 
  • enfin, la décarbonation de l’énergie, afin de sortir du pétrole pour passer à l’électrique, à l’hydrogène bas-carbone, au biogaz ou aux biocarburants.

Quels sont les obstacles à la décarbonation des transports en France ?

II y a actuellement des obstacles en termes de vision de la transition. La sobriété est peu sollicitée dans un contexte où la technologie est privilégiée dans les solutions mises en avant. Si cela bouge un peu dans les discours, la sobriété est encore très peu mise en œuvre dans les transports.

Côté technologies, les freins diffèrent. En France, les différents types de carburants ou de vecteurs énergétiques destinés à remplacer le pétrole (électricité, hydrogène, carburants gazeux et liquides) sont encore carbonés à plus de 90 %, hormis l’électricité qui est bas-carbone à plus de 90 %. Il y a donc des questions de délais dans la décarbonation de ces énergies, et elles resteront disponibles en quantités limitées à l’avenir. Enfin, elles sont souvent plus chères et soumises aussi à des problématiques de soutenabilités.

Ainsi, la priorité doit être à la réduction des consommations d’énergie et de matières, notamment par les premiers leviers de sobriété. Les meilleures technologies disponibles doivent être utilisées en complément. Il faut ainsi combiner l’ensemble des leviers de transition de manière ambitieuse pour rattraper notre retard sur les objectifs climatiques et tendre vers des mobilités plus durables.