La température en milieu urbain est de plus en plus élevée. Comment expliquer ce phénomène ?
Il faut distinguer deux températures : la température de l’air et la température ressentie. La température de l’air est la température que mesure traditionnellement une station météorologique. La température ressentie est la température réellement subie par les habitants. Elle résulte d’une combinaison entre la température de l’air et des facteurs météorologique comme le vent, le soleil et l’hygrométrie de l’air. Par exemple pour une même température d’air, une personne exposée au soleil aura chaud alors qu’une personne à l’ombre se sentira bien. En milieu urbain les températures d’air et ressentie sont généralement plus élevées qu’en milieu rural notamment en fin de journée et la nuit. En effet, la journée les éléments constitutifs du milieu urbain, sols, routes, façades, sont réchauffés par les rayons du soleil. Ils vont absorber une partie de cette énergie, la stocker puis la restituer à l’air ambiant. En conséquence, les surfaces seront chaudes et elles vont réchauffer l’air urbain, la température de l’air va augmenter, et les températures ressenties par les habitants vont croître. Ce processus conduit à des températures nocturnes en milieu urbain qui peuvent dépasser de plusieurs degrés la température mesurée en milieu rural. C’est le phénomène d’Ilot de Chaleur Urbain (ICU). Ce phénomène va certainement s’amplifier dans les années à venir car le changement climatique va globalement s’accompagner d’une augmentation des températures et de la durée des périodes d’ensoleillement (canicules). L’analyse détaillée du phénomène montre que de nombreux facteurs rentrent entre en jeu : la configuration du bâti, la largeur des rues, la couleur des façades, la densité de population, l’utilisation de la climatisation, etc … mais la principale cause de ces excès de température est la nature des matériaux utilisés en ville. Ceux-ci sont principalement minéraux. Ils ont la propriété de stocker une grande partie de l’énergie reçue et de se réchauffer fortement. A contrario, le milieu rural est majoritairement composé de végétaux. Ces derniers ont la particularité de peu stocker l’énergie solaire car ils l’utilisent et la convertissent pour leur fonctionnement et leur croissance. L’énergie solaire est absorbée et utilisée pour évaporer l’eau présente sous forme liquide dans les feuilles. Elle n’est donc pas stockée car le processus d’évapotranspiration consomme cette énergie et permet aux feuilles des plantes de se refroidir. Les végétaux ne restituent donc pas d’énergie à leur environnement. En interceptant les rayons du soleil, ils protègent les sols du soleil qui restent plus frais. Au final et en présence d’arbres, l’air ambiant ne se réchauffe pas et l’inconfort pour les riverains, à l’ombre de ces derniers, est moindre.
Quel rôle jouait initialement les arbres en milieu urbain ?
De nombreux écrits historiques montrent que l’usage fait des arbres a fluctué au cours de l’histoire suivant les modes de pensée, les situations géopolitiques (guerres), et l’évolution des connaissances sur les arbres. Il faudrait ainsi plus parler d’usages au pluriel, et globalement, les arbres ont toujours été présents dans les villes soit par préservation de certaines essences lors de l’expansion de l’habitat sur les espaces ruraux, soit par des plantations ex nihilo. Cette présence arborée a été guidée au cours des millénaires par de multiples raisons : mystiques, religieuses, sociologiques, culturelles, économiques et afin de remplir des fonctions très variées : bien-être, décoratives, vivrières, chauffage, ombrage, matériaux de construction, etc… [1]. Par exemple, l’olivier, l’arbre d’Athéna, symbole de la sagesse, avait une place importante dans la civilisation grecque et dans les villes grecques. Au Moyen-Âge, la présence d’arbres fruitiers, dans ou aux alentours des cités, permettait de subvenir aux besoins alimentaires de la population locale mais dans les périodes troubles, la fortification des villes a de facto réduit les espaces disponibles pour les arbres. A la Renaissance les jardinets arborés urbains étaient un marqueur social fort et étaient des lieux privilégiés de promenades ou à des fins plus récréatives. L’essor des Sciences végétales a également conduit à la création de parcs ou jardins botaniques dans les villes, créant des lieux propices à la préservation des espèces mais aussi à la promenade. Enfin et il y a près de 2 siècles et en France, les fonctions d’ombrage et de bien-être des habitants (un air plus sain) étaient déjà mises en avant, conceptualisées et mises en pratiques avec des grands programmes de plantations dans les grandes villes [2].
Le nombre d’arbres en milieu urbain est-il amené à évoluer ?
La nécessaire amélioration du cadre de vie en milieu urbain passera par une diminution des surfaces minérales au sein des villes. Il faudra donc de facto augmenter la surface de végétal via notamment l’introduction de nouveaux arbres, mais aussi de végétations basses (arbustes, couvert herbacée) associées aux arbres. Il est important de comprendre que le « nombre » d’arbres n’est pas la variable la plus pertinente à prendre en compte pour lutter contre les ICU. C’est en effet la surface foliaire des houppiers qu’il faut augmenter car celle-ci qui permet de lutter contre les ICU en captant plus de rayonnement. Cela va passer bien sûr par une augmentation du nombre d’arbres car il faudra planter des arbres là où il n’y en a pas et où ils sont susceptibles de bien se développer. Mais parfois et sur des lieux très précis, il pourrait être préférable de diminuer le nombre de sujets. Enlever quelques individus sur une place ou un alignement permet en effet aux autres arbres de mieux se développer et in fine avoir une surface foliaire plus efficiente et des arbres plus résilients [3]. Enfin, le développement d’une canopée couvrante sur toute une rue par des arbres peut être, en période longue de canicule, un frein au rafraîchissement nocturne des villes une fois que la température élevée de la masse d’air est atteinte. En effet, le rafraîchissement nocturne sous canopée est plus difficile. L’air chaud peut être emprisonné sous la voûte couvrante des arbres et le vent qui aide à dissiper ces masses d’air chaudes ne peut ainsi pénétrer facilement ces zones couvertes. Il en est de même des polluants qui ne peuvent se disperser dans ces conditions, contrairement aux zones où la végétation basse est présente et ou les rues sont mieux ventilées.
La ville de demain sera-t-elle une ville principalement composée d’arbres ?
Les arbres constituent un levier parmi d’autres pour lutter contre les ICU et améliorer le cadre de vie des habitants des villes. Le nombre d’arbres, mais aussi les surfaces végétalisés et perméables devraient être plus importants dans les villes de demain pour le confort et le bien-être des habitants. C’est donc plus généralement le verdissement des villes qui doit être favorisé via le développement de végétaux sur toutes les strates, toiture végétalisée, haies arbustives ou strates herbacées et bien évidemment les arbres. Le choix entre ses différents leviers végétaux doit se raisonner en terme de place, de ressources disponibles, de leurs gestions, et des usages : décoratif, récréatif, climatique, etc… Un arbre a en effet besoin de beaucoup d’espace dans le sol pour y développer son système racinaire et au-dessus du sol pour développer son houppier. Il doit également disposer de ressources assez importantes en eau et nutriment. Un arbre peut consommer plusieurs dizaines litres d’eau par jour [3]. Les besoins en espace de végétaux plus petits : arbustes, bosquets ou pelouses, sont moindres. Ils peuvent donc constituer une alternative intéressante pour les gestionnaires. Au-delà des arbres dont le nombre va augmenter, c’est la surface végétative qui sera amener à se développer. Un point de vigilance à avoir sur le développement des végétaux, est le risque climatique. L’augmentation attendue des épisodes de sécheresse associées à des températures élevées peut mettre en péril le développement et la pérennité des arbres en milieu urbain. La ville de demain va devoir faire face à de nombreux défis : (i) choisir des essences résilientes, (ii)développer des dispositifs de plantation qui atténuent ces risques (captation des ressources notamment en eau, fosses plus larges pour le développement racinaire – [4]), et (iii) développer des outils de surveillance de la bonne santé des arbres (capteurs dédiés– [5], [6]), afin de garantir que la ville de demain sera effectivement végétalisée voire arborée.
Références
[1] Baeli Robert, 2016, L’arbre dans les villes et villages Pourquoi, Comment ?, 31eme arborencontres de Seine et Marne. Melun
[2] Santini Chiara. 2017. ”De la science et de l’art du paysage urbain” dans ”Les Promenades de Paris (1867- 1873), traité d’art des jardins publics. Ministère de la Culture. Jean-Charles-Adolphe Alphand et le rayonnement des parcs publics de l’école française du XIXe siècle. Actes de la journée d’étude organisée dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Jean-Charles-Adolphe Alphand par la Direction générale des patrimoines et l’École du Breuil p. 5-12, Cahier du Conseil national des parcs et jardins.
[3] Triollet Loïse, Pauline Laïlle, Marc Saudreau, 2021, Le rafraîchissement des villes par les arbres, Les résultats du programme de recherche ANR COOLTREES, une fenêtre ouverte vers l’aménagement des villes de demain, 46 p., Ed. INRAE, Plante & Cité
[4] F. Ségur, Expérimentation sur le pouvoir rafraîchissant de la végétation : requalification de la rue Garibaldi à Lyon. https://www.nature-en-ville.com/sinspirer/experimentation-sur-le-pouvoir-rafraichissant-de-la-vegetation-requalification-de-la-rue-garibaldi, Plante et Cité
[5] Thierry Ameglio, Anaïs Dusotoit-Coucaud, Vincent V. Guillot, Didier D. Coste, Boris B. Adam. PépiPIAF : une nouvelle génération de biocapteurs pour le pilotage d’une arboriculture de precision. 2ème conférence sur l’entretien des espaces verts, jardins, gazons, forêts, zones aquatiques et autres zones non agricoles, 2009, Angers, France. pp.10. ⟨hal-00964672⟩
[6] Abdelkader Bensaoud, Frédéric Ségur, Thierry Ameglio. Ecosystem services provided by trees in the city: Assessing the cooling capacity by measuring the dendrometric parameters (trunk diameter growth). 2018, pp.25-31. hal-01843738⟩