« Le bilan carbone ne doit pas nécessairement être la seule boussole du consommateur », Grégori Akermann, chercheur à l’INRAE

« Le bilan carbone ne doit pas nécessairement être la seule boussole du consommateur », Grégori Akermann, chercheur à l’INRAE
Pour faire face à l’appauvrissement des ressources et au réchauffement climatique, de nombreux experts préconisent de repenser notre production et notre consommation alimentaire. Réduction de l’empreinte carbone, reterritorialisation de l’alimentation, système alimentaire durable… Grégori Akermann, chercheur à l’UMR Innovation et Développement dans l’Agriculture et l’Alimentation de l’INRAE, apporte son éclairage.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la consommation alimentaire ces dernières années ?

On observe de nombreux changements dans les pratiques de production et de consommation alimentaire ces dernières années qui participent de la reterritorialisation de l’alimentation. Les consommateurs assistent depuis des années à des nombreux scandales alimentaires (vache folle, lasagne à la viande de cheval, bactérie E. Coli…) qui renforcent leurs inquiétudes envers leur alimentation et les encouragent à se tourner vers une alimentation de qualité et des circuits de proximité plus transparents. 

Ce mouvement s’accompagne d’un changement de l’offre alimentaire : en 10 ans, la part des exploitations en agriculture biologique a triplé, passant de 4 à 12 % et la part des exploitations vendant en circuit court est passée de 18% en 2010 à 23% en 2020. Du côté de la distribution, on assiste depuis 10 ans à une multiplication et une diversification des modèles alternatifs à la grande distribution : au-delà des AMAP, symbole du renouveau des circuits courts dans les années 90, on voit apparaître de nouveaux modèles, qui prennent souvent une dimension collective et participative et s’appuient sur les outils numériques : magasins de producteurs, marchés de producteurs, groupement d’achat citoyen, supermarchés coopératifs, casiers connectés installés au bout du champ, système de vente de produits locaux par internet avec livraison en point retrait ou à domicile… Alors que ces circuits étaient globalement en croissance depuis des années, et alors que la consommation en circuit court avait explosé pendant la crise du Covid et en particulier pendant le premier confinement, on assiste depuis quelques mois à de nouvelles dynamiques plus contrastées : 4 producteurs sur 10 déclarent une baisse de chiffre d’affaires par rapport à 2019, tandis que 4 sur 10 déclarent une hausse et 2 sur 10 déclarent une stagnation (Étude RMT Alimentation locale, 2022). 

Comment se traduit la reterritorialisation de l’alimentation à laquelle vous faites référence ?

La reterritorialisation de l’alimentation est un mouvement de renforcement des liens entre les territoires et l’alimentation qui en est issue. Celle-ci implique une proximité géographique et relationnelle entre les acteurs de la production, de la transformation, de la distribution et de la consommation et une réappropriation du système alimentaire par ces acteurs. 

Cette reterritorialisation recouvre une diversité d’initiatives portées par les différents acteurs des systèmes alimentaires : des producteurs peuvent créer des appellations d’origine, des magasins de producteurs, des AMAP avec les concours de citoyens, certains reconstruisent des filières depuis la production jusqu’à la distribution en passant par la transformation ; des consommateurs s’impliquent dans la gestion de groupements d’achats de produits locaux ou de supermarchés coopératifs ; des départements, des communautés de communes, des métropoles mettent en place des politiques alimentaires pour appuyer l’approvisionnement local de la restauration collective ou aider les citoyens les plus précaires à accéder à une alimentation locale, etc. 

La reterritorialisation de l’alimentation a de nombreux impacts positifs : maintien de l’agriculture aux abords des villes, contribution à l’économie locale, dynamisation du tissu rural, renforcement de l’interconnaissance entre les producteurs et les consommateurs, accès facilité à une alimentation saine et de qualité… 

Quels sont les fondements d’un système alimentaire durable ?

Un système alimentaire est composé de l’ensemble des agents, des services et des institutions en charge de la production, de la distribution, de l’accès, de la consommation et du stockage de la nourriture (Pillon, 2011). La notion de durabilité quant à elle est généralement définie autour de trois dimensions : la viabilité économique, le faible impact sur l’environnement et l’équité sociale. 

La FAO ajoute à ces trois dimensions celles de la nutrition et de sécurité alimentaire pour donner la définition suivante : un système alimentaire durable est un système qui assure la sécurité alimentaire et la nutrition pour tous de manière à ne pas compromettre les bases économiques, sociales et environnementales nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire et la nutrition des générations futures. Ainsi, un système alimentaire durable doit permettre de produire et diffuser une alimentation en quantité suffisante, favorable à la santé, qui soit rémunératrice pour les acteurs qui la produisent et la diffusent, qui ne dégrade pas l’environnement et qui puisse être accessible à toutes et tous.  Construire des modèles qui répondent à tous ces objectifs à la fois reste un défi majeur pour les acteurs des systèmes alimentaires. Car réussir à produire une alimentation de qualité qui soit à la fois rémunératrice pour les producteurs et accessible aux personnes les plus précaires semble une équation économique impossible, à moins que l’action publique puisse soutenir les systèmes les plus durables ou mettre en place des politiques inspirées de la sécurité sociale de l’alimentation.

Comment le consommateur peut-il devenir acteur de ce système alimentaire durable ?

Évaluer le bilan carbone de l’assiette des Français n’est pas chose facile, surtout lorsque l’on cherche à mesurer le bilan des filières alternatives dont les activités de production, de transport, de distribution, de stockage, d’emballage sont moins standardisées que dans les circuits longs. Beaucoup de gens pensent que l’impact carbone vient essentiellement du transport de la nourriture. 

Or, dans le système alimentaire, l’activité qui pèse le plus sur le bilan carbone reste la production, avant le transport ou le stockage. Même si, rapporté au kilo, déplacer 10kg de pélardons depuis les Cévennes jusqu’à Montpellier dans une camionnette qui repart à vide génère plus de carbone que déplacer des bananes depuis l’autre bout du monde en cargo, faire galoper des chèvres dans les Cévennes génère infiniment moins de carbone qu’une plantation de banane. Garder en tête que l’étape de la production est celle qui a le plus d’impact permet d’éviter des raccourcis trop simplistes, notamment pour le cas de la viande. 

Certes, manger moins de viande permet de réduire le bilan carbone de son assiette – tout comme manger moins en général, ce que l’on oublie souvent – mais une vache française nourrie aux tourteaux de soja brésilien aura un bilan carbone plus élevé qu’une vache qui pâture toute l’année dans les prés du Limousin. Enfin, le bilan carbone ne doit pas nécessairement être la seule boussole du consommateur. Dans l’idée de durabilité, les dimensions nutrition-santé, économiques et socio-culturelles sont souvent oubliées. 

En effet, du point de vue de l’impact carbone uniquement, produire des tomates en Bretagne sous serre chauffée au printemps est plus impactant que de faire pousser des tomates dans la chaleur du sud de l’Espagne. Pour autant, l’usage des pesticides sera moins important dans les atmosphères contrôlées des serres bretonnes que dans celles des serres espagnoles. Mais les conditions de travail de la main-d’œuvre du sud de l’Espagne sont-elles aussi bonnes que celles des ouvriers agricoles bretons ? Et que dire du goût de ces tomates ? Peut-être que finalement, le plus simple est d’attendre le mois de juillet pour manger de délicieuses tomates locales cueillies à maturité et vendues par un petit producteur au marché plutôt que d’acheter des tomates bretonnes ou espagnoles en promo dans un supermarché dès le mois de mai, qui finiront au mieux au compost, sinon à la poubelle.

Manger moins, éviter de gaspiller, manger de saison et se renseigner sur les modes de production sont donc des choses que peut faire le consommateur pour réduire le bilan carbone de son assiette. Faut-il encore qu’il trouve suffisamment d’informations sur les modes de production, que les commerçants soient suffisamment transparents pour qu’il puisse choisir les aliments qui lui conviennent. Plutôt que de rester seul face à l’impossibilité de mettre en accord ses valeurs et ses pratiques d’achat dans l’opacité de l’offre alimentaire, le consommateur a parfois la possibilité de s’engager dans des initiatives citoyennes qui lui redonnent le pouvoir sur ses choix d’approvisionnement : devenir adhérent d’une épicerie participative, d’un supermarché coopératif, d’une AMAP ou d’un groupement d’achat. Il peut également s’approvisionner dans des magasins qui distribuent une alimentation locale et de qualité en toute transparence : les magasins de producteurs, certains magasins de produits locaux, certains magasins bio ou épicerie vrac. Une cartographie telle que celle faite par l’INRAE et Que Choisir peut l’aider à s’orienter : https://www.quechoisir.org/carte-interactive-circuit-court-n97688/