L’Espagne se déchire sur le Nutriscore

L’Espagne se déchire sur le Nutriscore

Le débat fait rage en Espagne autour du Nutriscore, ce système d’étiquetage nutritionnel vanté par la France, qui est supposé aider les consommateurs européens à mieux s’y retrouver  lorsqu’ils font leurs courses alimentaires. Sur fond de défense de la gastronomie méditerranéenne, les « pro » et « anti » s’opposent à coup de tribunes et études scientifiques, portant la polémique jusqu’aux plus hautes sphères de l’État.

Le débat tourne au vinaigre au pays de l’huile d’olive. Après bien d’autres pays européens, c’est au tour de l’Espagne de se déchirer à propos du futur système d’étiquetage alimentaire obligatoire. Mi-février, une soixantaine de scientifiques espagnols a mis le feu aux poudres en publiant une virulente tribune s’opposant à l’introduction prochaine du Nutriscore, ce logo défendu par la France et qui figure d’ores et déjà sur quantité de denrées alimentaires disponibles dans l’Hexagone. Leurs arguments : la mise en œuvre du Nutriscore en Espagne est trop hâtive, ne repose sur aucun consensus scientifique et fait abstraction de certaines habitudes alimentaires propres aux pays méditerranéens.

Les signataires, membres d’universités, d’hôpitaux et d’instituts de recherche espagnols, reviennent notamment dans leur tribune sur la polémique ayant entouré la notation de l’huile d’olive, ô combien emblématique de la gastronomie espagnole, mais classée par le Nutriscore, même lorsqu’elle est extra-vierge, à égalité avec les autres graisses végétales – et même moins bien que certains sodas light. Les scientifiques mettent aussi en avant l’absence de prise en compte de l’impact environnemental du système d’étiquetage, ainsi que de toute référence au fait que tel ou tel aliment soit produit localement ou pas. Enfin, les experts espagnols concluent en estimant que le Nutriscore ne démontre pas qu’il aide à mieux choisir son alimentation et appellent de leurs vœux, en lieu et place de décisions technocratiques imposées par les autorités européennes, à un débat public ouvert et transparent.

Le ministre de la Consommation dans la tourmente

Depuis la publication de cette tribune, la polémique n’a pas désenflé en Espagne. Elle a même gagné les plus hautes sphères du pays, emportant avec elle le ministre de la Consommation, Alberto Garzon. Fervent défenseur de l’instauration du Nutriscore, le dirigeant espagnol a notamment dénoncé les « pressions » et « campagnes belliqueuses » des opposants au système d’étiquetage nutritionnel et a dû rappeler que son adoption en Espagne reposait toujours sur la base du volontariat. Face à la gronde du secteur de l’huile d’olive, le ministère dirigé par Alberto Garzon s’est néanmoins résolu à demander la modification de l’algorithme attribuant jusqu’alors un « D » au produit phare de la gastronomie méditerranéenne. Encore plus mal notés, les secteurs espagnols de la charcuterie et du fromage ont tenté de s’engouffrer dans la brèche, sans succès néanmoins : ils se sont ainsi vu opposer une fin de non-recevoir de la part du ministère, qui a considéré que les professionnels du porc et du lait n’avaient pas apporté la démonstration des bénéfices de leurs produits, particulièrement riches en graisses et en sel, pour la santé humaine.

Contradictoires, les déclarations et décisions des autorités espagnoles ont encore assombri un débat placé sous le sceau de la confusion et de la plus grande opacité. De son côté, la Fédération espagnole des industries agroalimentaires (FIAB) a insisté sur la nécessité de s’accorder sur « un système harmonisé » à l’échelle de l’Union européenne, un préalable indispensable selon elle « pour un secteur aussi dépendant des exportations que celui de la nourriture espagnole ». « Les systèmes d’étiquetage ne devraient pas être discriminatoires, ni stigmatiser certains ingrédients ou catégories de produits, a encore estimé la fédération. Ils doivent s’appuyer sur des fondations solides, prenant en compte le fait que les quantités et fréquences de consommation sont des éléments fondamentaux servant à déterminer si un mode d’alimentation est équilibré ou non ». « Le problème du Nutriscore est qu’il s’agit d’un système très quantitatif, mais pas assez qualitatif », a également jugé Francesco Caselles, le patron du comité de nutrition de la Fondation espagnole pour le système digestif (FEAD).

Zizanie

Un avis partagé par quantité d’experts, à l’image de Ramon Estruch, coordinateur du projet Predimed (Prévention avec le régime méditerranéen), selon qui le « Nutriscore est basé sur un algorithme qui ne prend pas en compte les composants bioactifs ni les nutriments, qui sont très importants, comme les graisses saturées et polyinsaturées, les vitamines et les polyphénols. (Le Nutriscore) ne prend en compte que la composition de l’aliment, au moyen d’une formule qu’aucune étude scientifique ne justifie ». Mettant en lumière le fait que le système d’étiquetage ne prend pas davantage en considération le degré de transformation des produits – une étude britannique a ainsi démontré que 40% des produits ultra-transformés disponibles en France disposaient d’une note « A » ou « B » –, l’expert revient à son tour sur le cas emblématique du fromage, « un produit méditerranéen qui, lorsqu’il est consommé avec modération, n’est pas mauvais » pour la santé. Supposé apporter clarté et fiabilité de l’information au consommateur, le Nutriscore a donc, pour l’instant, surtout réussi à semer la zizanie en Espagne.