Opposition train / avion : et si on sortait des idées reçues ?

Opposition train / avion : et si on sortait des idées reçues ?

Alors que le projet de loi Climat et Résilience doit être prochainement examiné par l’Assemblée nationale, certains opposants dénoncent déjà son manque d’ambition.

Le texte n’irait pas assez loin dans le bannissement du transport aérien, souvent opposé au ferroviaire, érigé en modèle de déplacement vertueux. A bien des égards, l’opposition train / avion semble pourtant artificielle. L’occasion de faire le point sur les idées reçues autour de l’impact environnemental de ces deux moyens de transport.

Une opposition stérile qui ne rend pas compte des réalités respectives du train et de l’avion

Encourager le recours au train plutôt qu’à l’avion en interdisant les vols lorsqu’une alternative ferroviaire existe en moins de 2h30 : c’est une des dispositions emblématiques du projet de loi Climat et résilience. Certaines organisations militantes souhaitent aller encore plus loin, en demandant un renforcement de l’interdiction des vols intérieurs couplé à un renforcement du transport ferroviaire. Faut-il y voir un effet du flight shaming, qui ferait de l’avion la victime expiatoire idéale, et du transport ferroviaire l’avenir vertueux des mobilités ? Avant d’opposer secteurs aérien et ferroviaire, au nom de la décarbonation des transports, il est bon de revenir sur leurs impacts environnementaux respectifs. Sur l’aérien d’abord : le transport aérien représente de 2 à 3% des émissions de CO2 émises par l’activité humaine, chiffre à mettre en perspective avec les 17% dont est responsable le transport routier mondial. Quant aux vols intérieurs, qualifiés d’aberration écologique, quel est leur poids réel en France ? Ils représentent 4% des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, lui-même responsable de 30% des émissions françaises. Au total, cette « aberration » est coupable de 1,4% des émissions françaises.

Tout n’est pas vert dans le ferroviaire

Le secteur ferroviaire n’échappe pas lui non plus aux idées reçues qui entourent souvent la réalité de l’impact environnemental des transports.  Pour les dépasser, il faut revenir à un rapport de 2014 de la Cour des Comptes intitulé « La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence ». S’intéressant à l’efficacité énergétique par personne transportée, le rapport conclut que « sur les dessertes où le taux d’occupation est de moins de 50 %, les TGV deviennent moins performants, et à moins de 20 %, l’émission de CO2 par passager devient 2,5 fois supérieure à celle de l’autocar. » Un constat sans appel : sur les lignes à faible taux d’occupation, « le maintien de la desserte par le TGV de certaines extrémités de lignes est négatif du point de vue énergétique et de l’environnement ». Au-delà de ce taux d’efficacité énergétique, d’autres facteurs doivent être pris en compte pour une juste estimation de l’impact environnemental du secteur ferroviaire. Et il faut bien, là aussi, en finir avec les idées reçues. Alors que l’électricité en France est fortement décarbonée grâce à l’énergie d’origine nucléaire, la SNCF s’approvisionne de façon significative à l’étranger, utilisant « une électricité plus émettrice de CO2 que la moyenne française ». A tel point que les sages de la rue Cambon estiment que si l’on utilisait la moyenne européenne, « le calcul montrerait que le TGV serait nettement plus émetteur de CO2 que l’autocar ».

Les conséquences économiques et sociales des idées reçues

Une opposition ferroviaire / aérien qui n’est peut-être donc pas si pertinente au regard de cette remise en perspective. Or les idées reçues peuvent avoir des conséquences importantes, notamment sur l’emploi. Remplacer les lignes aériennes intérieures par des trains pourrait bien être un coup de grâce pour un secteur déjà durement touché par la crise. Un détour sur les chiffres de l’emploi permet de réaliser ce que représente le secteur aéronautique en France : 350 000 emplois directs et indirects. Pour la seule Occitanie, cela représente 90 000 emplois, soit 40% de l’emploi industriel de la région. Certes, mais le développement du secteur ferroviaire pourrait-il prendre le relais ? Rien n’est moins sûr, tant l’impact positif d’une LGV sur un territoire doit être nuancé. Contrairement à l’idée que l’on s’en fait souvent, une LGV n’est pas toujours un facteur de développement économique pour une région : « une région en difficulté le reste », avec ou sans LGV, estime la synthèse du rapport de la Cour des Comptes précédemment cité. « Contrairement à l’idée d’un TGV pour tous qui mettrait les territoires à égalité, le TGV a plutôt tendance à accentuer la polarisation autour des grandes métropoles (…), Paris au premier chef, et à desservir les zones moins urbanisées ». 

Face à ce constat, le transport aérien intérieur est peut-être le moyen le plus pertinent de réaliser des liaisons interrégionales, sans passer par la capitale. Avant que la crise sanitaire ne réduise fortement le trafic aérien intérieur, celui-ci se concentrait en France justement là où le TGV n’était pas présent, témoignant d’une juste complémentarité entre l’avion et le train. Finalement, c’est peut-être là une avancée que celle du projet de loi énergie climat, qui annonce qu’un travail a été engagé « conjointement par les entreprises du secteur aérien et ferroviaire afin d’améliorer la qualité de l’offre intermodale air/fer dans les aéroports équipés de gare TGV ».  A rebours des idées reçues sur les différents modes de transports, c’est cette intermodalité qui permettra d’avancer vers une offre de transport de plus en plus décarbonée.