Forêt française : pourquoi la pompe à carbone s’essouffle ?

Forêt française : pourquoi la pompe à carbone s’essouffle ?

Alliée face au réchauffement climatique, la forêt française joue un rôle vital dans l’absorption du carbone. Mais l’efficacité de ce « puits de carbone » a été plus que divisée par deux en un peu plus d’une décennie.

Alliée face au réchauffement climatique, la forêt française joue un rôle vital dans l’absorption du carbone. Mais l’efficacité de ce « puits de carbone » a été plus que divisée par deux en un peu plus d’une décennie.

La planète bleue porte bien son nom : couvrant plus de 70% de la surface de la Terre, les océans absorbent environ 30% du CO2 émis par les activités humaines. Des chiffres qui feraient presque oublier que la planète bleue est aussi… verte. Les écosystèmes forestiers représentent en effet, derrière l’hydrosphère (océans, rivières, lacs), le second « puits de carbone » au monde. Ainsi en France, nos forêts et sols forestiers compensent l’équivalent de 9 % de nos émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES). 1

La forêt joue un rôle vital de « pompe de carbone »

Si ce rôle est bien connu des scientifiques et même consacré dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) française, le stock de carbone des forêts françaises est aussi colossal que vulnérable. D’après l’inventaire forestier national, les quelque 11,3 milliards d’arbres en France représenteraient aujourd’hui un stock d’1,3 milliard de tonnes de carbone, contre 0,84 milliard de tonnes en 1984 (soit une hausse de +55%).

Au cours du XXᵉ siècle, la surface forestière française a augmenté de 50 % et le stock de bois sur pied a doublé. Le stock total continue d’augmenter, mais le volume supplémentaire de carbone stocké chaque année diminue : un changement aussi brutal qu’inédit dans l’histoire. 2

Quand le puits forestier devient une source de carbone

En treize ans, les forêts françaises captent beaucoup moins de CO₂ : leur capacité d’absorption a chuté de 62 %, passant de 83 à 31 millions de tonnes par an. Et encore ne s’agit-il là que d’une moyenne nationale ; en zoomant sur l’Hexagone, on se rend compte que certaines régions forestières françaises, comme dans l’est du territoire, sont même devenues des sources d’émissions de CO2. Les causes de cet affaiblissement du puits de carbone sont bien identifiées et reposent prioritairement sur la baisse de la production biologique (-4% par rapport à la période 2005-2013) et sur l’augmentation de la mortalité des arbres (+80%).

Ces arbres dépérissant ou morts sont souvent coupés, notamment au lendemain de phénomènes météorologiques extrêmes, comme les tempêtes – alors qu’ils sont parfois déjà affaiblis par les sécheresses récurrentes, les maladies ou les attaques d’insectes, comme le scolyte. Autant de phénomènes créés ou accentués par un seul et unique coupable : le réchauffement climatique, dont les conséquences sont toujours plus visibles. Comme dans le quart nord-est de la France, où le volume de « bois de crise » (c’est-à-dire le bois récolté à la suite d’un incendie, d’une sécheresse ou d’une attaque de ravageurs) atteint, depuis 2018, 37 millions de mètres cubes sur 110 000 hectares, soit près de la moitié d’une récolte annuelle de bois en France.

Inverser la tendance : est-ce possible, et comment ?

Est-il encore possible d’inverser cette tendance – et si oui, comment ? Si « la nature est bien faite » et qu’elle a en elle de remarquables facultés d’adaptation, le rythme du réchauffement climatique est bien trop rapide pour permettre à la forêt de s’adapter. La forêt a besoin de l’Homme. Et contrairement aux océans, l’Homme a les moyens de l’aider à s’adapter pour maintenir son rôle de pompe à carbone. C’est la raison pour laquelle la gestion forestière durable, active et adaptée est une condition sine qua non pour assurer la résilience future de nos forêts. Une gestion forestière qui s’inscrit, par définition, dans le temps long – celui des arbres – et qui se traduit notamment par un travail patient d’observation, d’expérimentation, de diversification des essences, de prévention des dépérissements, etc.

À ce titre, le travail des forestiers, des gestionnaires et des propriétaires de forêts publiques comme privées bénéficie largement de certaines politiques publiques. Ainsi, par exemple, du plan France Relance (2021-2023), qui a permis, avec près de 204 millions d’euros engagés, la plantation de 58 millions d’arbres et le renouvellement de près de 47 000 hectares ; du programme France 2030, pour lequel plus de 102 millions d’euros d’aides ont été demandés ; ou de France Nation Verte, dont le guichet est ouvert depuis novembre dernier. Nombre de renouvellements sont toutefois menés sans aide publique, directement financés par les propriétaires ou soutenus par la société civile et la filière bois, notamment à travers plus de 1 100 projets labellisés bas-carbone fin 2024.

Un « poumon vert » qui a un prix

Ce gros millier de projets labellisés a permis, à lui seul, de réduire les émissions françaises de GES de 2,44 Mt CO2.3 La démonstration par la preuve que si le puits de carbone forestier est fragilisé, il n’est pour autant pas condamné. Les forêts demeurent un atout majeur dans la lutte contre le changement climatique, à condition d’agir dès aujourd’hui, en pérennisant et augmentant le soutien financier au renouvellement forestier et à la gestion forestière, et en développant les usages du bois – notamment dans la construction et les produits à longue durée de vie, prolongeant ainsi le stockage du carbone sur le long terme. Seuls ces efforts – financiers, politiques, de sensibilisation du grand public, etc. – permettront que la forêt reste le « poumon vert » qu’elle a toujours été. Un puits, et non une source d’émissions de carbone supplémentaire.

 

Sources :

1 2e édition de l’Observatoire des forêts françaises, mai 2025, Citepa,

2 La forêt ne peut pas être un puits infini de carbone, ing.fr

3 La politique forestière face au défi du changement climatique, agriculture.gouv.fr