Un peuple protecteur chassé de ses terres en Inde
Le peuple Jenu Kuruba, présent depuis des siècles dans la région de Nargarahole, vit en symbiose avec la forêt et les animaux qui l’habitent. Le tigre, emblème de la réserve, est au cœur de leurs croyances et de leurs pratiques ancestrales. Pourtant, le 18 juin dernier, la police du Karnataka, accompagnée des gardes forestiers, est intervenue pour détruire six grands abris en bois où plusieurs familles vivaient, dont des femmes et des enfants. Ces habitations avaient été réinstallées un mois plus tôt, en mai 2025, sur des terres que leurs ancêtres avaient occupées avant d’en être chassés.
Des images transmises à la presse montrent la scène violente du démantèlement, sous les protestations des villageois. Selon Shivu, leader des jeunesses Jenu Kuruba et observateur engagé, cette opération est une injustice profonde : « Comment peut-on nous qualifier de nuisances pour la vie sauvage, alors que nous en prenons soin depuis des millénaires, que nous considérons même qu’elle fait partie de nous ? »
Un paradoxe au cœur du conflit en Inde
Ce démantèlement illustre le paradoxe qui oppose les populations autochtones aux autorités chargées de la protection de la nature. Alors que les Jenu Kuruba ont toujours été des gardiens respectueux de la forêt, participant à sa préservation et à la protection des espèces menacées, ils sont aujourd’hui accusés de perturber l’équilibre écologique, en particulier celui des tigres.
Cette situation n’est pas unique à Nargarahole. Partout dans le monde, des peuples autochtones voient leurs droits territoriaux remis en cause au nom de la conservation environnementale, sans que soit toujours reconnue leur contribution essentielle à la gestion durable des espaces naturels.
Un dilemme entre conservation et droits humains
La réserve de tigres de Nargarahole est une zone protégée majeure, abritant une biodiversité riche et menacée. La présence humaine y est strictement encadrée, avec des règles imposées pour limiter l’impact sur les habitats. Cependant, cette réglementation entre souvent en conflit avec les droits historiques des populations autochtones.
Les autorités invoquent la nécessité de protéger les tigres, une espèce en danger critique, et estiment que la présence humaine pourrait entraîner une perturbation de leur milieu naturel. De leur côté, les Jenu Kuruba affirment au contraire que leur mode de vie est compatible avec la conservation. Leur connaissance traditionnelle des forêts et leur gestion respectueuse des ressources font d’eux des alliés naturels de la faune sauvage.
Une exclusion aux conséquences lourdes
Le démantèlement du village a des conséquences immédiates et graves pour les familles concernées. Sans abris ni moyens de subsistance sur leurs terres historiques, ces communautés sont exposées à une grande précarité. Cette situation engendre également un sentiment de marginalisation et d’injustice qui alimente les tensions entre les populations locales et les autorités.
Le cas des Jenu Kuruba illustre la nécessité d’un dialogue renouvelé entre conservation environnementale et reconnaissance des droits autochtones, afin de concilier protection de la biodiversité et justice sociale.
Vers une reconnaissance des savoirs autochtones en Inde ?
Face à ces conflits récurrents, des voix s’élèvent pour promouvoir une approche inclusive de la conservation, qui intègre les savoirs et les droits des populations autochtones. Plusieurs études et expériences montrent que la gestion collaborative des réserves naturelles, avec la participation active des peuples autochtones, peut être une solution efficace et durable.
La communauté internationale, notamment à travers les Nations unies, plaide pour une meilleure reconnaissance des droits des peuples autochtones, incluant leur droit à vivre sur leurs terres ancestrales et à participer aux décisions concernant leur environnement.
Une situation à suivre de près
Le démantèlement du village Jenu Kuruba dans la réserve de Nargarahole relance le débat sur l’équilibre délicat entre la protection de la nature et la défense des droits humains. Alors que le changement climatique et la perte de biodiversité s’accélèrent, il apparaît crucial d’adopter des politiques de conservation plus justes et respectueuses des communautés qui vivent en harmonie avec leur environnement depuis des générations.
Dans cette région du Karnataka, la suite des événements dépendra en grande partie des négociations entre les autorités et les représentants autochtones, et de la capacité à trouver un terrain d’entente qui préserve à la fois la forêt et ceux qui la protègent depuis toujours.