“Cat Bonds” : la ruée vers l’argent des catastrophes naturelles

“Cat Bonds” : la ruée vers l’argent des catastrophes naturelles
Les ouragans, les incendies, les inondations… autant de désastres naturels qui n’effraient plus certains investisseurs. Au contraire, ils les attirent. Depuis le début de l’année 2025, le marché des « obligations catastrophe » — ou cat bonds — bat tous les records. Plus de 18,1 milliards de dollars ont déjà été émis à travers le monde, dépassant déjà le total annuel de 2024, pourtant déjà considéré comme une année historique. Cette explosion de la demande s’explique en partie par l’intensification des événements climatiques extrêmes. Mais elle révèle surtout une tendance de fond : la financiarisation croissante du risque climatique.

Le “Cat Bonds” : un produit financier né dans l’urgence

Les cat bonds ont vu le jour dans les années 1990, plus précisément après le passage dévastateur de l’ouragan Andrew en 1992, en Floride. L’événement a mis à genoux plusieurs assureurs américains, incapables de couvrir tous les dégâts matériels. Face à cette vulnérabilité structurelle, les compagnies d’assurance ont cherché des solutions pour externaliser une partie du risque. Le principe est simple : émettre une obligation sur les marchés, vendue à des investisseurs privés ou institutionnels, qui acceptent de couvrir les pertes en cas de catastrophe naturelle.

« C’est un produit très particulier, qui repose sur un pari risqué », explique Antoine Andreani, directeur de la recherche chez XTB. « L’assureur promet un rendement élevé, mais en échange, l’investisseur accepte qu’en cas d’événement prédéfini — par exemple un séisme d’une certaine intensité dans une zone précise — il puisse perdre tout ou partie de sa mise. » En d’autres termes, tant que la catastrophe n’a pas lieu, l’investisseur empoche des intérêts conséquents. Mais si l’événement survient, les fonds sont versés à l’assureur pour couvrir les dommages.

Une croissance portée par le dérèglement climatique

Pendant longtemps, ces produits ont attiré peu de monde. Trop risqués, trop techniques. Mais depuis une quinzaine d’années, le réchauffement climatique a changé la donne. L’intensité et la fréquence des catastrophes naturelles ont poussé les assureurs à multiplier ces mécanismes de couverture. Et du côté des marchés, les taux d’intérêt très bas puis la diversification des portefeuilles ont contribué à attirer de nouveaux investisseurs.

Le véritable tournant intervient après la crise financière de 2008, et surtout après la pandémie de Covid-19. « À partir de 2020, on observe une croissance exponentielle du nombre d’émissions », confirme Zac Taylor, chercheur en finance climatique à l’université de Delft. Les investisseurs, en quête de rendements non corrélés aux marchés classiques, se sont tournés vers ces obligations d’un genre nouveau. Et depuis, le volume des cat bonds sur les marchés ne cesse d’augmenter.

Entre outil de gestion du risque et produit spéculatif

Le fonctionnement des cat bonds s’est aussi sophistiqué. Au lieu de dépendre uniquement de critères physiques (séisme, ouragan, etc.), certains produits se déclenchent lorsque les remboursements des assureurs atteignent un certain niveau. D’autres sont indexés sur les pertes économiques globales d’un secteur. Cela permet une plus grande flexibilité… mais aussi une complexité accrue pour les investisseurs et les autorités de régulation.

La Banque mondiale, qui organise désormais des panels consacrés à ces produits, s’est récemment inquiétée de leur croissance « astronomique ». Car derrière l’innovation financière se cache un malaise éthique : faut-il vraiment permettre aux marchés de parier sur les catastrophes naturelles ?

« Il y a un vrai risque de déconnexion entre la réalité du terrain et les mécanismes financiers », souligne Antoine Andreani. « Certains investisseurs minimisent sciemment les risques climatiques pour maximiser leurs rendements. » Et pendant que les maisons brûlent ou que les populations fuient les inondations, d’autres engrangent des profits confortables — sauf si la catastrophe survient.

Cat Bonds, une manne financière qui interroge

Du point de vue des compagnies d’assurance, les cat bonds sont devenus essentiels. Dans certaines régions du monde particulièrement exposées, comme la Floride ou la Californie, ces obligations représentent une part majeure de la couverture contre les événements extrêmes. Dans un contexte de crise climatique structurelle, elles sont vues comme une solution de résilience.

Mais pour les ONG environnementales et les défenseurs d’une finance responsable, ces produits soulèvent des interrogations majeures. En transformant le risque climatique en actif financier, les marchés peuvent-ils vraiment contribuer à la transition écologique ? Ou ne font-ils qu’adapter le capitalisme à une réalité climatique désormais inéluctable ?

Alors que les cat bonds continuent de prospérer sur fond de canicules records et d’inondations meurtrières, une certitude s’impose : le climat est devenu une variable économique à part entière. Et dans cette nouvelle équation, les frontières entre prévoyance et spéculation n’ont jamais été aussi floues.