ZeGreenWeb

Pollution automobile : les freins, les pneus et la chaussée, ces grands oubliés des politiques climatiques

transport union europeenne valide fin voitures thermiques - ZeGreenWeb

Alors que s’ouvre à Paris la 50e édition du salon EquipAuto, vitrine mondiale de l’innovation automobile, un autre sujet de pollution refait surface : celui que les pots d’échappement ne suffisent plus à expliquer. Car si les émissions des moteurs thermiques ont largement diminué grâce aux progrès techniques, une autre forme de pollution — invisible, mais tout aussi nocive — inquiète de plus en plus les scientifiques : celle issue de l’usure des freins, des pneus et de la chaussée.

Des émissions invisibles mais omniprésentes

Au 1er janvier 2024, le parc routier français comptait 39,3 millions de voitures particulières, 6,5 millions de véhicules utilitaires légers, 625 000 poids lourds et 94 000 autobus et autocars. Un trafic dense, permanent, et une source majeure de pollution. Si les gaz d’échappement ont longtemps été la principale préoccupation, les émissions dites « hors échappement » — provoquées par le frottement des plaquettes de frein, l’abrasion des pneus ou la poussière remise en suspension sur la chaussée — prennent désormais le relais.

Les chiffres sont édifiants : en 1990, ces émissions ne représentaient que 16 % des particules fines (PM10) émises par le transport routier. En 2022, elles en constituaient 71 %. Pour les particules encore plus petites (PM2,5), capables de pénétrer profondément dans les poumons, la part est passée de 9 % à 57 % sur la même période. Ces données illustrent une mutation silencieuse : moins de fumée à la sortie des pots, mais toujours autant de poussières dans l’air.

Le problème est d’autant plus préoccupant qu’il ne concerne pas seulement les véhicules thermiques. Les voitures électriques, souvent plus lourdes, génèrent autant — sinon davantage — de particules d’usure, malgré leur freinage régénératif.

Des impacts sanitaires encore mal mesurés

Les particules issues de l’abrasion des freins, des pneus ou du bitume présentent des tailles extrêmement fines, souvent inférieures à un micromètre, voire à 100 nanomètres pour les poids lourds. Ces particules ultrafines peuvent atteindre les alvéoles pulmonaires, où elles interagissent directement avec le surfactant pulmonaire et les macrophages alvéolaires, des cellules clés du système respiratoire.

Des travaux menés à Lyon ont permis de collecter ces particules en conditions réelles de circulation, grâce à un dispositif mobile. Les premiers résultats montrent que celles issues du freinage — riches en fer, cuivre, baryum et antimoine — pourraient altérer la fonction pulmonaire sur le long terme. Une exposition répétée, même à faible dose, pourrait favoriser l’apparition de maladies chroniques comme la fibrose pulmonaire ou des inflammations persistantes.

Ces émissions, bien que moins visibles que les fumées d’échappement, participent donc directement à la pollution de l’air, dont les conséquences sur la santé publique sont déjà bien documentées : asthme, maladies cardiovasculaires, cancers respiratoires.

Euro 7 : une avancée encore imparfaite

Face à cette menace, la future norme européenne Euro 7 — qui doit entrer en vigueur en novembre 2026 — ambitionne d’intégrer pour la première fois les émissions hors échappement. Une petite révolution réglementaire. Les limites fixées s’élèveront à 7 mg/km pour les particules PM10 à partir de 2026, puis 3 mg/km à partir de 2035.

Mais cette avancée reste insuffisante, selon plusieurs experts. D’abord parce que la réglementation ne prend pas en compte les particules ultrafines, celles justement les plus dangereuses pour la santé. Ensuite, parce que les limites exprimées en milligrammes par kilomètre ne reflètent pas la réalité physique : ces particules, minuscules et légères, échappent souvent aux instruments de mesure de masse. Certains chercheurs plaident donc pour une approche fondée sur le nombre de particules émises plutôt que sur leur masse totale.

Du côté des constructeurs, plusieurs pistes sont explorées :
– le freinage électromagnétique, qui réduit l’usure des plaquettes dans les conditions normales mais reste inopérant lors des freinages d’urgence ;
– les filtres à particules intégrés directement aux systèmes de freinage, dont la fiabilité et l’impact sur la sécurité doivent encore être testés ;
– la modification des matériaux de plaquettes et pneus, prometteuse mais susceptible d’engendrer davantage de nanoparticules encore mal connues.

En clair, la technologie avance, mais la science et la réglementation peinent à suivre le rythme.

L’électrique n’échappe pas au problème

Contrairement à une idée reçue, les véhicules électriques ne sont pas exempts de ces pollutions. Leur freinage régénératif limite certes les émissions de particules liées aux freins, mais leur poids supérieur — dû notamment aux batteries — augmente l’usure des pneus et de la chaussée. Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) estime que ces deux effets se compensent : un véhicule électrique à grande autonomie émet globalement autant de particules qu’un modèle thermique récent.

À cela s’ajoutent d’autres défis environnementaux : extraction des métaux rares, fabrication et recyclage des batteries, empreinte carbone des chaînes d’approvisionnement. Autant de sujets qui complexifient l’équation écologique de la mobilité électrique.

Vers une sobriété automobile ?

Alors que les innovations techniques promettent toujours plus de puissance et de performance, la véritable solution semble paradoxalement passer par… la sobriété. Réduire les déplacements inutiles, favoriser les mobilités douces, repenser la place de la voiture en ville : autant de leviers simples mais encore sous-exploités.

La pollution liée à l’usure des véhicules rappelle une évidence : même sans moteur thermique, une voiture reste un objet lourd, bruyant et polluant. L’amélioration technologique ne suffira pas à elle seule à rendre la mobilité durable. Seule une transition culturelle, vers moins de véhicules et plus de rationalité dans les usages, permettra de respirer un air plus sain.

Et c’est peut-être là, plus que dans les innovations du salon EquipAuto, que se joue l’avenir de la voiture.

Quitter la version mobile