Une loi de simplification aux effets controversés pour l’élevage intensif
Derrière son intitulé technocratique, la loi Duplomb s’attaque à un sujet sensible : les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) dans le secteur agricole, et en particulier les élevages intensifs. Le texte, qui progresse rapidement au Parlement, est présenté comme une réponse à l’enjeu de souveraineté alimentaire et de compétitivité du monde agricole français.
Mais pour les ONG environnementales et une partie de la gauche, il s’agit surtout d’un cadeau législatif à l’agro-industrie, au détriment du droit de l’environnement. Plusieurs dispositions du texte inquiètent, car elles reviennent à alléger les procédures encadrant les projets d’élevages, notamment ceux de grande taille, classés en ICPE.
Moins de concertation, moins de contrôle
L’un des points les plus critiqués du texte concerne la réduction drastique de la participation du public. Les projets d’extension ou de modernisation d’élevages classés pourraient désormais échapper à une enquête publique ou à une procédure d’information environnementale dès lors qu’ils sont considérés comme « améliorant l’impact environnemental global » – une notion floue et contestable.
Autre disposition controversée : la neutralisation du principe de non-régression du droit de l’environnement, inscrit dans la loi depuis 2016. Cette clause interdit normalement toute régression des normes environnementales. Or, le texte Duplomb propose de ne plus appliquer ce principe aux projets agricoles, au nom de la « simplification ».
Les associations redoutent également une tentative de contournement de la directive européenne IED (émissions industrielles), qui impose des normes strictes aux grandes exploitations animales. En allégeant les critères de classement et les obligations déclaratives, la France pourrait se mettre en porte-à-faux avec Bruxelles.
Un alignement sur les revendications de la FNSEA
Ce texte législatif reprend plusieurs revendications portées de longue date par les syndicats agricoles majoritaires, en particulier la FNSEA, qui défend une vision productiviste de l’agriculture. En permettant d’accélérer les extensions d’élevages sans alourdir les démarches administratives, la loi vise à répondre aux critiques sur les lenteurs bureaucratiques.
Mais les défenseurs de l’environnement y voient une remise en cause de l’encadrement des élevages industriels, dont les impacts sont pourtant largement documentés : émissions d’ammoniac, nitrates dans les nappes phréatiques, souffrance animale, pollution de l’air, etc. Pour France Nature Environnement (FNE), “la loi Duplomb tourne le dos aux objectifs de transition agroécologique” et “pousse à une intensification contraire à la demande sociétale”.
Une adoption express, dans un climat politique sensible
Le calendrier d’adoption rapide du texte interroge. Après des mois de mobilisation agricole et dans un contexte électoral tendu, la majorité présidentielle et Les Républicains ont largement soutenu la proposition de loi. Elle a été adoptée à l’Assemblée nationale avec les voix du bloc central, de la droite et de l’extrême droite, malgré l’opposition des écologistes et de la gauche.
Selon ses défenseurs, il s’agit d’un outil de simplification nécessaire pour moderniser les exploitations et assurer leur compétitivité face à la concurrence européenne. Mais pour ses opposants, c’est un texte qui affaiblit les normes environnementales, alors même que la France peine à respecter ses engagements en matière de biodiversité, de qualité de l’eau et de réduction des émissions agricoles.
Une vision contradictoire sur l’élevage intensif
Selon plusieurs enquêtes d’opinion récentes, les Français sont massivement favorables à une régulation plus stricte de l’élevage industriel. Une majorité demande le développement de modèles plus durables, comme l’agriculture biologique ou l’élevage extensif. La loi Duplomb semble aller à rebours de ces attentes, en institutionnalisant un droit d’exception pour le secteur agricole industriel.
Alors que les effets de l’intensification agricole sont de plus en plus visibles – algues vertes, dégradation des sols, crises sanitaires animales – de nombreux observateurs redoutent que cette loi aggrave les déséquilibres existants au lieu d’accompagner une transition en profondeur du modèle agricole.
Simplification ou dérégulation de l’élevage intensif ?
Derrière les discours de modernisation et de compétitivité, la loi Duplomb apparaît pour beaucoup comme un cheval de Troie législatif, destiné à libérer les élevages industriels de leurs contraintes réglementaires. Si elle est adoptée en l’état, elle risque d’affaiblir le droit de l’environnement en France, et d’envoyer un signal négatif à l’échelle européenne. Dans un contexte de crise climatique et écologique, cette orientation suscite de vives inquiétudes, et pourrait être l’objet de recours devant le Conseil constitutionnel ou la Cour de justice de l’UE.