Un encadrement renforcé de l’écoconception textile
La Commission européenne poursuit sa stratégie de transformation du secteur textile, l’un des plus polluants au monde, avec une nouvelle étape réglementaire. Dans le cadre de l’application du règlement européen sur l’écoconception, adopté en mars 2024, Bruxelles a mis en consultation publique un projet de règlement délégué visant à encadrer la destruction des invendus textiles.
Cette mesure s’inscrit dans la logique du Pacte vert européen et de la stratégie européenne pour les textiles durables et circulaires. Elle entend mettre fin à la surproduction et à l’obsolescence programmée en forçant les industriels à mieux planifier leurs chaînes d’approvisionnement et à valoriser les invendus. Mais dans cette première version du texte, onze exceptions sont proposées, censées tenir compte des contraintes économiques et techniques du secteur.
Une interdiction assortie de onze dérogations temporaires
Le projet de règlement complète l’article 25 du règlement Écoconception en détaillant les conditions d’application de l’interdiction de détruire les invendus. Mais il prévoit des exemptions temporaires pour certaines catégories de produits textiles, notamment :
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Les sous-vêtements et les chaussettes, considérés comme difficilement revalorisables pour des raisons d’hygiène ;
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Les produits contenant des matières techniques ou composites complexes (mélanges synthétiques non recyclables) ;
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Les vêtements professionnels ou de sécurité fabriqués sur mesure ;
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Les produits textiles invendus stockés avant l’entrée en vigueur de la mesure ;
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Certains lots invendus inférieurs à un volume plancher, dont la revalorisation logistique serait économiquement irréaliste.
La Commission justifie ces exceptions par la nécessité d’un ajustement progressif des filières de recyclage et de revalorisation textile. Ces dérogations seraient encadrées dans le temps, avec des échéances de révision tous les deux ans. L’objectif reste à terme d’interdire toute destruction non justifiée, mais de manière graduée.
Une approche pragmatique mais critiquée
Ces dérogations, bien qu’annoncées comme transitoires, suscitent déjà des critiques de la part des ONG environnementales et de certains eurodéputés. Selon eux, elles risquent d’affaiblir la portée de la mesure et de retarder son efficacité réelle.
Pour Zero Waste Europe, “accorder autant d’exceptions dès le départ revient à envoyer un signal contradictoire à l’industrie”. L’organisation plaide pour une réglementation plus ferme, assortie de moyens pour accompagner la transition des entreprises vers la réutilisation, le don ou le recyclage.
Côté industriels, les fédérations du textile saluent au contraire une approche réaliste. Elles rappellent que la revalorisation des invendus suppose une infrastructure adaptée, des filières de tri spécialisées, et des coûts importants pour les PME, qui doivent être prises en compte.
Une consultation ouverte jusqu’à l’automne
Le projet de règlement est soumis à consultation publique jusqu’à septembre 2025, avec une adoption finale prévue pour la fin de l’année. Les parties prenantes – fabricants, distributeurs, ONG, autorités nationales – sont invitées à faire remonter leurs remarques sur la faisabilité, les impacts économiques et les délais de mise en œuvre.
L’entrée en vigueur de l’interdiction – hors dérogations – devrait être fixée à 2026, avec une obligation de transparence accrue : les entreprises devront justifier la gestion de leurs invendus dans leur reporting environnemental, et pourraient être sanctionnées en cas de destruction non autorisée.
Une première étape vers une mode plus responsable
Cette mesure s’inscrit dans le virage réglementaire pris par l’UE pour verdir l’industrie textile, qui génère chaque année 12,6 millions de tonnes de déchets en Europe. L’interdiction de destruction vise à réduire le gaspillage, mais aussi à forcer les marques à revoir leur modèle économique, basé jusqu’ici sur des collections en surproduction et sur un renouvellement constant.
Combinée à d’autres textes à venir (responsabilité élargie des producteurs, passeport numérique produit, normes sur la durabilité et la réparabilité), l’initiative de Bruxelles dessine un nouveau cadre réglementaire plus contraignant pour la filière textile.
Conclusion : vers une révolution silencieuse du textile européen ?
En autorisant certaines dérogations tout en fixant un cap clair, la Commission européenne adopte une approche de transition progressive. Elle cherche à ménager les acteurs économiques sans renoncer à ses objectifs de durabilité. Reste à savoir si cette méthode convaincra, ou si elle sera perçue comme une porte ouverte aux abus. Une chose est sûre : la destruction d’invendus textiles ne pourra plus être une norme dans l’économie circulaire de demain.