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L’écosexualité : quand le désir rencontre la nature

l'écosexualité

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Se baigner nu dans un lac, caresser la mousse, répandre ses fluides sur la terre… Et si notre environnement n’était pas seulement un décor, mais un partenaire avec lequel nous partageons des expériences sensuelles et sexuelles ? Cette idée, à la frontière du militantisme et de l’érotisme, prend forme dans l’écosexualité, un mouvement qui émerge doucement en France.

La Terre comme “amante”

« L’écosexualité, ce sont toutes les pratiques érotiques qui n’ont pas l’humain pour centre », résume la philosophe queer et féministe Myriam Bahaffou. L’objectif : explorer des formes de plaisir traditionnellement exclues du champ sexuel, qui se limite trop souvent au rapport humain et à l’orgasme génital.

Le mouvement est né il y a plus de quinze ans aux États-Unis, grâce à la collaboration de deux artistes performeuses lesbiennes, Beth Stephens et Annie Sprinkle, ancienne actrice porno et travailleuse du sexe. Leur démarche : passer de la « Terre comme mère » à la « Terre comme amante ». Dans leur premier manifeste, elles décrivent des pratiques où tous les sens entrent en jeu : enlacer les arbres, masser la terre avec les pieds, murmurer aux plantes, admirer les cours d’eau, caresser les pierres ou observer les étoiles. « Nous faisons l’amour avec la Terre à l’aide de tous nos sens », écrivaient-elles en 2015.

En 2008, elles ont officialisé leur démarche avec un « mariage avec la Terre », une performance artistique où elles ont échangé des vœux avec la planète. Cet événement a donné naissance à d’autres « mariages écosexuels » avec des éléments naturels comme le feu, la mer ou la neige, combinant militantisme queer et alerte écologique.

Leurs films documentaires, comme Water Makes Us Wet (« L’eau nous rend mouillés »), abordent la raréfaction de l’eau et la pollution, tout en mêlant scènes érotiques dans des paysages naturels. L’écosexualité devient alors un outil pour concilier lutte écologique et revendications queer.

La pratique de l’écosexualité s’installe en France

En France, le concept est arrivé via Paul B. Preciado, penseur queer et ami des deux artistes. Bien que l’écosexualité soit encore marginale, elle commence à se structurer dans des milieux artistiques et militants. Margot Vellet, chercheuse, rappelle que le mouvement a émergé en 2013 à Bourges lors d’un week-end « écosexe ».

Parmi ceux qui s’en réclament, l’artiste Aurore Morillon, 32 ans, pratique ce qu’elle qualifie d’écosexuel à travers la respiration orgasmique ou le contact avec la nature. Elle mêle sorcellerie et sensorialité, avec des autels végétaux et des rituels de connexion au vivant. Dans ses films, comme Lucioles, tournés avec le collectif Porn Process, la nature n’est pas un décor, mais une partenaire : scènes de sexe dans les bois, fouettages avec des branches, bruitages d’animaux et paysages naturels sont intégrés au montage pour créer une dimension écologique au récit pornographique.

D’autres initiatives françaises incluent les spectacles écosexuels de Lundy Grandpré ou le documentaire Ecosex, a User’s Manual d’Isabelle Carlier en 2018. L’art devient un vecteur de visibilité et d’appropriation du mouvement, souvent au sein de milieux queer et prosexe.

L’écosexualité, une expérience communautaire et militante

Certaines communautés, comme les Fées radicales en Haute-Saône, pratiquent l’écosexualité au sein de rituels collectifs et spirituels. Depuis 2023, l’Ecosexcamp, camp estival itinérant, réunit principalement des participants queer autour d’activités comme des balades sensorielles, baignades en rivière ou pratiques collectives de BDSM avec des végétaux. L’objectif : explorer le plaisir, la sensualité et l’éveil des sens dans un cadre communautaire et respectueux de l’environnement.

Pour les participants, le lien à la nature est aussi politique. « Pratiquer l’écosexualité, c’est défendre des écosystèmes auxquels on tient, explique Azur, militant et participant. On veut protéger ces lieux parce qu’on y trouve du plaisir et du sens. »

Redéfinir le désir

L’écosexualité ne se limite pas au sexe ou à l’orgasme. Elle inclut des pratiques sensorielles comme caresser la mousse, marcher pieds nus, écouter le chant des oiseaux ou prendre des bains de forêt. « Aller se baigner nue, se faire tremper par la pluie ou boire à la rivière, ce sont des expériences écosexuelles », précise Myriam Bahaffou. L’idée est de « dégénitaliser » le désir, de développer de nouveaux langages sexuels et de valoriser d’autres zones d’excitation que celles imposées par la culture mainstream.

Pour Aurore Morillon, cela permet de réinventer un rapport au désir et à la sensualité : la nature devient partenaire, les pratiques sensuelles ou sexuelles sont amplifiées par le cadre environnemental, et le plaisir ne se limite plus au corps humain. L’écosexualité propose ainsi une expérience du désir profondément engagée, à la fois intime, politique et écologique.

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