Une tribune pour alerter sur les risques
À l’initiative de plusieurs restaurateurs, une tribune publiée le 24 juillet dans Le Monde demande le retrait de la loi. Parmi eux, Pierre-Louis Guérin et Samia Gharet, gérants de la ferme-auberge La Morinais en Bretagne, expliquent leur engagement par leur volonté de servir des produits issus de leur potager, sans pesticides. « Nous faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner », écrivent-ils, exprimant leurs inquiétudes face à la dégradation de la qualité des produits et à l’augmentation des cancers.
La loi Duplomb, portée par le sénateur Laurent Duplomb, visait notamment à lever l’interdiction de certains pesticides toxiques. Le Conseil constitutionnel a censuré le 7 août plusieurs dispositions, dont la réautorisation de substances telles que l’acétamipride, un néonicotinoïde.
Des chefs français de renom en première ligne
Jacques Marcon, chef trois étoiles Michelin, a adressé une lettre ouverte au sénateur Duplomb, exprimant sa honte et sa volonté de devenir un « vrai militant ». Selon lui, les restaurateurs ont une responsabilité à alerter sur les risques liés aux pesticides. Sa prise de position a encouragé d’autres chefs à s’exprimer, à l’image de Chloé Charles, marraine du label Écotable, qui dénonce l’inaction politique face à la recrudescence des maladies liées à l’alimentation.
Pour ces professionnels, l’enjeu dépasse leur activité. Ils affirment que la loi accentue les inégalités : si certains peuvent accéder à des produits sains, les écoles, hôpitaux et ménages modestes doivent souvent se contenter d’aliments issus d’une agriculture intensive et traités chimiquement.
La défense des plus modestes au cœur du message
Thibaut Spiwack, chef étoilé parisien, rappelle que cette mobilisation vise d’abord les citoyens les plus modestes, qui subissent de plein fouet les conséquences d’une alimentation de moindre qualité. Selon lui, cette loi envoie le message que la santé de certaines populations est sacrifiée au profit d’intérêts industriels.
Les signataires soulignent également le rôle d’ambassadeurs que jouent les cuisiniers en faveur des producteurs. Manon Fleury, cheffe étoilée, insiste sur la nécessité de soutenir les maraîchers qui travaillent dans le respect de la terre et du vivant.
Un modèle agricole contesté
Au-delà des pesticides, la loi facilite la création de fermes usines et qualifie les mégabassines d’« intérêt général majeur », suscitant de vives critiques. Les chefs estiment que ces mesures aggravent un système agricole déjà « à bout de souffle », où les producteurs sont contraints de produire toujours plus à bas prix.
Pour les signataires, la véritable urgence réside dans l’amélioration des rémunérations agricoles et la sortie progressive d’un modèle productiviste, plutôt que dans un assouplissement de l’usage des pesticides.
Une prise de parole rare dans la profession
Les cuisiniers s’expriment rarement collectivement sur des sujets politiques. Cette mobilisation marque donc un tournant, motivé par la conviction que la qualité des produits et la santé publique sont directement menacées. La tribune met en avant la nécessité de replacer l’alimentation au cœur des politiques publiques, en intégrant les enjeux environnementaux et sanitaires.
À La Morinais, les recettes du jour dépendent des récoltes du jardin, illustrant une approche que les signataires aimeraient voir soutenue par les pouvoirs publics. Pour eux, il s’agit de préserver un lien direct entre producteur et consommateur, gage de traçabilité et de qualité.
Une contestation qui s’inscrit dans un débat plus large
Le débat sur les pesticides s’inscrit dans un contexte de crise climatique, de perte de biodiversité et de tensions sur la souveraineté alimentaire. Les chefs français signataires affirment que l’aveuglement politique face à ces enjeux est « intolérable » et que l’heure est à la transition vers une agriculture plus durable.
La mobilisation des figures de la gastronomie, rarement associées à des causes militantes, pourrait contribuer à sensibiliser un public plus large. Les signataires espèrent ainsi peser sur les choix politiques et encourager une réflexion nationale sur l’avenir du système agricole et alimentaire.