« Un arbre malade peut sembler encore debout aux yeux du public, mais il n’est pas pour autant vivant », Aurélien Barthélemy, expert forestier (Racines)

« Un arbre malade peut sembler encore debout aux yeux du public, mais il n’est pas pour autant vivant », Aurélien Barthélemy, expert forestier (Racines)
 
  1. Pourquoi renouveler les forêts aujourd’hui est-il devenu un impératif ?

Renouveler une forêt fait partie intégrante du cycle du végétal. On le fait souvent soit parce qu’on y est contraint, suite à des événements climatiques, à des attaques sanitaires ou à un dépérissement, soit parce que le cycle naturel du peuplement touche à sa fin. Certes, certaines coupes sont motivées par des enjeux économiques, mais en réalité, l’immense majorité des coupes rases aujourd’hui sont contraintes par l’état sanitaire des peuplements.

En dehors du massif landais, qui obéit à une logique sylvicole spécifique, la grande majorité des coupes rases est le résultat de crises : insectes, tempêtes, tornades, sécheresses. Les forêts sont directement touchées par le changement climatique, et dans bien des cas, nous ne coupons pas par choix, mais par nécessité.

  1. Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez sur le terrain pour mettre en œuvre ce renouvellement ?

 Les défis sont nombreux et de plusieurs ordres.

Le premier, c’est la main-d’œuvre. Le métier de sylviculteur est extrêmement difficile : pénibilité, conditions climatiques, technicité… Il devient de plus en plus compliqué de recruter des personnes qualifiées, motivées et qui s’inscrivent dans la durée.

Le deuxième, c’est la pression du gibier. Aujourd’hui, la densité d’ongulés est telle que nos efforts de reboisement sont régulièrement anéantis. Ce surcoût impacte fortement l’équilibre économique des projets, même subventionnés.

Le troisième, c’est la société elle-même. Il y a 20 ans, ce facteur n’existait quasiment pas. Aujourd’hui, la forêt est perçue comme un bien commun, ce qui est une bonne chose en soi, mais cela s’accompagne souvent d’attentes très fortes, parfois irréalistes, envers les propriétaires. Beaucoup souhaitent profiter de la forêt, sans forcément comprendre ni assumer les contraintes de gestion. Les critiques pleuvent, mais peu de monde est prêt à prendre une débroussailleuse ou à investir financièrement dans l’entretien.

Enfin, le financement. Le plan France Relance a été un tournant majeur avec l’objectif ambitieux de « planter un milliard d’arbres ». Les aides promises étaient significatives, couvrant jusqu’à 80 % des coûts. Mais entre le moment de l’annonce et celui des réalisations concrètes, les coûts de chantier ont explosé : hausse des prix de la main-d’œuvre, des protections contre le gibier, des matériaux… Résultat : dans la réalité, les subventions couvrent plutôt 50 à 60 % du coût réel. Et comme souvent, il y a eu un effet d’aubaine : certains acteurs ont augmenté leurs tarifs dans la foulée des aides publiques.

  1. Le renouvellement forestier est parfois perçu négativement : comment expliquez-vous ce décalage entre la nécessité d’agir et l’image renvoyée par certaines pratiques ?

Le malentendu vient d’un point central : ce n’est pas la plantation qui choque, c’est la coupe rase. Très peu de gens protestent contre le fait de planter un arbre, même en essence résineuse. Mais l’image d’une forêt coupée à blanc, elle, suscite l’incompréhension, voire l’émotion.

Il faut expliquer que la coupe rase est souvent le seul passage possible pour permettre le renouvellement dans un contexte de dépérissement. Ce n’est pas parce qu’un peuplement est debout qu’il est viable. Un arbre malade peut sembler encore « debout » aux yeux du public, mais il ne survit pas. Et la société aimerait qu’on replante… sans jamais couper.

  1. En quoi le renouvellement forestier est-il aussi un enjeu d’avenir pour les territoires ?

C’est un enjeu stratégique à plusieurs niveaux. D’abord, parce que le climat évolue localement, et que chaque forêt doit s’adapter à ce nouvel environnement. Cela implique de choisir les essences et les types de peuplements qui seront résilients dans 30 ou 50 ans.

Mais au-delà de la technique, il y a un impact paysager, pédagogique et économique. Une forêt renouvelée, bien pensée, contribue à maintenir des paysages vivants, offre un support d’éducation à la nature, génère de l’activité économique locale, et surtout renforce notre autonomie en ressources et notre résilience climatique.

  1. Que faudrait-il, selon vous, pour accélérer la dynamique de renouvellement à l’échelle nationale ?

Il y a trois leviers incontournables.

D’abord, rétablir l’équilibre forêt-gibier. Sans cela, toutes les aides du monde ne suffiront pas, car jusqu’à un tiers des budgets est aujourd’hui consacré à protéger les plantations des surdensités d’ongulés en forêt (chevreuils et cerfs). Ce n’est pas soutenable.

Ensuite, la question de la main-d’œuvre. Il faut redonner envie de travailler en forêt, revaloriser les métiers de terrain. Ces métiers ont du sens, mais ils souffrent d’un manque d’attractivité.

Enfin, le levier de la formation technique. Il faut retrouver une expertise forestière forte sur le renouvellement. À l’époque du Fonds Forestier National, les ingénieurs des travaux forestiers étaient formés à ces enjeux. Aujourd’hui, cette compétence n’est pas suffisamment enseignée dans les écoles forestières. Or, les reboisements sont plus techniques qu’avant : les plants sont plus sensibles, les essences plus nombreuses, les conditions plus complexes.

Reboiser aujourd’hui est plus exigeant que dans les années 1950. Il faut donc des moyens, des compétences et une vraie stratégie pour adapter nos forêts à demain.