Désinformation climatique : les réseaux dans l’œil du cyclone

Désinformation climatique : les réseaux dans l’œil du cyclone
Les plateformes sociales favorisent la viralité de contenus de désinformation lors des épisodes climatiques extrêmes, au détriment des informations vitales pour les populations. C’est la conclusion d’une vaste étude menée par le Center for Countering Digital Hate (CCDH), qui pointe la responsabilité directe des algorithmes dans la propagation de la désinformation.

Inondations, incendies : quand la désinformation se propage plus vite que l’urgence

Début juillet 2025, des inondations meurtrières frappaient le Texas. Quelques mois plus tôt, en janvier, Los Angeles était la proie d’incendies dévastateurs. Deux drames climatiques, deux exemples tragiques d’une nouvelle réalité numérique : les fausses informations se propagent aujourd’hui plus vite, plus loin et plus efficacement que les messages d’alerte ou les consignes de sécurité.

C’est ce que démontre l’ONG américaine Center for Countering Digital Hate (CCDH), dans une étude inédite fondée sur l’analyse de 300 publications virales diffusées sur plusieurs grandes plateformes sociales (Facebook, X, Instagram, YouTube). Leur constat est implacable : lors de ces catastrophes, les contenus complotistes et mensongers ont largement éclipsé les sources officielles.

À titre d’exemple, le podcaster américain Charlie Kirk affirmait, sans preuve, que les inondations texanes étaient causées par une “modification artificielle des nuages”. Un propos absurde, mais relayé des milliers de fois. Pire encore : lors des incendies de Los Angeles, les publications d’Alex Jones, figure emblématique du complotisme américain, ont totalisé davantage de vues que l’ensemble des dix principales agences de secours et des grands médias réunis.

Une mécanique virale favorisée par les algorithmes

Pour le CCDH, cette prolifération n’est pas anodine. Elle est facilitée – voire encouragée – par les algorithmes des plateformes. Imran Ahmed, directeur de l’ONG, dénonce une véritable “économie de la désinformation”, rendue possible par la logique même des réseaux sociaux. “Ces grandes plateformes rémunèrent plusieurs de ces comptes pour les inciter à générer de l’engagement, sans distinction entre l’information et le mensonge”, accuse-t-il.

La viralité est devenue la boussole principale, reléguant au second plan l’exactitude des faits. Résultat : dans des moments où l’accès à une information fiable peut sauver des vies, ce sont les récits les plus spectaculaires, les plus polarisants et les plus faux qui dominent.

L’étude montre aussi que les messages émanant de services d’urgence ou d’experts en climatologie atteignent une audience bien moindre que celle des influenceurs complotistes. Un déséquilibre profondément préoccupant alors que les épisodes météorologiques extrêmes se multiplient sous l’effet du dérèglement climatique.

Une modération quasi inexistante

Autre révélation accablante de l’enquête : la faiblesse criante des systèmes de modération. Seules 2% des publications identifiées comme trompeuses dans l’échantillon ont été accompagnées d’une vérification ou d’un avertissement. Ni Facebook, ni Instagram, ni X (ex-Twitter) ne semblent enclins à mettre en place des outils de contrôle suffisamment efficaces face à l’urgence de la situation.

Pour Imran Ahmed, le relâchement des politiques de modération, combiné à une logique purement économique, rend les plateformes numériques directement responsables des dérives observées. “Ces entreprises savent ce qu’elles font. Elles choisissent délibérément de privilégier les clics au détriment de la vérité”, assène-t-il.

La dérive est d’autant plus inquiétante que certaines figures bien connues de la désinformation bénéficient même de programmes de monétisation proposés par les plateformes. Autrement dit, elles sont financièrement récompensées pour propager des récits dangereux et erronés.

L’enjeu de sécurité publique

Au-delà du débat sur la liberté d’expression, l’étude du CCDH rappelle que la désinformation en contexte de catastrophe naturelle n’est pas une anecdote virtuelle. Elle a des conséquences bien réelles. Dans des situations où la réactivité, la précision et la confiance dans les institutions sont essentielles, la confusion semée par des contenus fallacieux peut entraîner des retards d’évacuation, des comportements à risque ou une défiance envers les secours.

En d’autres termes, la désinformation climatique ne relève plus uniquement d’un problème éthique ou politique : c’est un enjeu de sécurité publique. Et tant que les plateformes n’adopteront pas des politiques de modération robustes, cette menace continuera de s’amplifier.

Vers une régulation renforcée de la désinformation ?

Face à ces constats, la pression monte pour encadrer plus strictement les géants du numérique. Plusieurs États, dont les membres de l’Union européenne, tentent d’imposer des règles de transparence algorithmique et de lutte contre la désinformation via des textes comme le Digital Services Act. Mais la bataille est loin d’être gagnée, notamment face à la puissance économique des plateformes et à leur capacité de lobbying.

En attendant, l’étude du CCDH agit comme un signal d’alarme. À mesure que le climat se dérègle, que les événements extrêmes se multiplient, il devient urgent de veiller à ce que la vérité ait, elle aussi, une chance de devenir virale.