Bras de fer sur le marché du cacao

Bras de fer sur le marché du cacao
Les pays producteurs de cacao s'opposent aux multinationales du secteur, leur reprochant un double discours consistant à exiger toujours plus de traçabilité et de durabilité, sans revoir leurs tarifs en conséquence. Alors que la plupart des producteurs africains de fèves vivent dans la pauvreté, la question du juste prix du cacao fait donc l'objet d'un bras de fer musclé entre acteurs concernés : si la Côte d'Ivoire et le Ghana menacent de couper l'approvisionnement en cacao durable, la décision revient, in fine, aux industriels du chocolat. 

Aura-t-on du chocolat à Noël ? A quelques jours de la trêve des confiseurs, la tension est à son comble entre, d’un côté, les principaux pays producteurs de cacao que sont la Côte d’Ivoire et le Ghana – qui représentent, à eux seuls, plus de 60% de la production mondiale de fèves – et, de l’autre, les multinationales du chocolat. Le bras de fer porte sur la question de la rémunération des producteurs africains de cacao qui, en dépit de la manne financière que représente ce juteux commerce, vivent pour la plupart d’entre eux sous le seuil de pauvreté. 94% des 100 milliards de dollars que génère annuellement le business du chocolat échappent ainsi à celles et ceux qui, au quotidien, cultivent et produisent les précieuses fèves.

Afin d’assurer une meilleure rémunération à leurs millions de petits producteurs ainsi qu’à leurs familles et communautés, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont instauré, en 2021, un « différentiel de revenu décent » (DRD) : une prime de 400 dollars par tonne de cacao, qui est supposée s’ajouter au cours en vigueur sur les marchés mondiaux, qui avoisine quant à lui les 2 400 dollars par tonne – un prix qui n’a que peu évolué depuis une dizaine d’années malgré l’inflation et la hausse des coûts de production. Objectif revendiqué : « assurer une durabilité à l’économie cacaoyère » des pays concernés. Problème : aucun des industriels du chocolat n’a encore versé la prime en question aux producteurs de cacao. Sourdes à la misère de ceux qui, à la sueur de leur front, bâtissent leur immense fortune, les multinationales semblent se laver les mains des conséquences sociales et environnementales de leur activité.

Ultimatum

C’est pour tenter de rééquilibrer un tant soit peu ce rapport de force que les autorités ivoiriennes et ghanéennes ont lancé, cet automne, un ultimatum aux géants mondiaux du chocolat et de la confiserie : si les multinationales ne versaient pas la prime de 400 dollars par tonne avant le 20 novembre, les producteurs arrêteraient de leur fournir le cacao « durable » dont elles ont fait un incontournable argument marketing. Autrement dit, les industriels ne peuvent pas continuer d’avoir le beurre – de cacao – et l’argent du beurre, c’est-à-dire exiger des producteurs de fèves qu’ils se conforment aux standards éthiques demandés par les clients occidentaux tout en refusant de les dédommager pour les surcoûts que ces pratiques induisent nécessairement.

Au-delà du 20 novembre, les acteurs africains se réservaient donc le droit de mettre fin aux programmes assurant la durabilité de leur cacao, mais aussi d’interdire purement et simplement aux représentants des multinationales du chocolat d’accéder à leurs plantations. Par cet ultimatum, « il s’agit d’attirer l’attention sur le respect des engagements qui ont été pris afin d’assurer un revenu décent et équitable à nos producteurs agricoles », estime le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, selon qui « on ne peut pas reprocher à un pays de défendre les intérêts de ses producteurs. Je ne vois pas de menaces, je vois des dispositions qu’un État prend pour préserver le revenu de ses producteurs. Ce sont eux qui font le plus de sacrifices pour le développement de ce pays ».

Un prix juste pour un chocolat juste

En d’autres termes, si la Côte d’Ivoire et le Ghana sont régulièrement pointés du doigt par des ONG et défenseurs de l’environnement, les conséquences sociales et environnementales de la production de cacao sont, avant tout, le résultat de la pression qu’exercent les industriels du secteur agroalimentaire sur les prix. En Côte d’Ivoire par exemple, le cacao représente 15% du PIB, 40% des recettes d’exportation et fait vivre près de six millions de personnes, soit un Ivoirien sur cinq : c’est l’intérêt bien compris des autorités du pays que de veiller à la durabilité d’un secteur aussi stratégique. Le gouvernement s’est donc engagé à lutter contre le travail des enfants dans les plantations, ou encore contre la déforestation, en adoptant par exemple un système de surveillance par satellite, ou en plantant des dizaines de millions d’arbres afin d’étendre la couverture forestière de 20% d’ici à 2030.

Les autorités, via le Conseil Café-Cacao (CCC), ont également développé un ambitieux programme de traçabilité, d’un montant de 10 millions de dollars, concernant près d’un million de producteurs ivoiriens. En tout, c’est près d’un milliard d’euros que la Côte d’Ivoire doit mobiliser pour respecter l’Initiative sur le cacao durable signée avec l’Union européenne en 2021. Autant d’efforts qui ont fait dire à Alassane Ouattara, le président de Côte d’Ivoire, que les pays occidentaux n’ont pas de « leçons » à donner aux Etats africains en matière d’écologie : « ce n’est pas en faisant des menaces » que la situation s’améliorera, a encore lancé le chef d’Etat en février dernier, mais « en travaillant ensemble à ce que le cacao soit durable ». Dont acte : d’après Yves Brahima Koné, le président du CCC, les multinationales du chocolat auraient enfin « compris qu’il y a un problème et qu’il y a nécessité de trouver une solution ».

Et cette solution ne viendra que d’un arrangement financier. Car « la suppression de la prime (de 400 euros par tonne) a un impact direct sur les planteurs. Ces derniers souffrent déjà de la baisse du prix du cacao et de son instabilité. Il est donc important pour nous de ne pas accepter cette situation », rappelle Alex Assanvo, le secrétaire général de l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana. Ce que confirme à France 24 l’économiste ivoirien Youssouf Carius, selon qui « il faut que les multinationales comprennent que le continent se transforme. Si elles veulent continuer de prospérer sur un secteur aussi porteur, elles ont tout intérêt à veiller à ce que le travail soit rémunéré à sa juste valeur ». Un prix juste, pour un chocolat juste, en somme : la balle est désormais dans le camp des industriels.