Des forêts mieux armées contre le changement climatique : un défi de taille pour les forestiers

Des forêts mieux armées contre le changement climatique : un défi de taille pour les forestiers
Incendies, attaques de nuisibles, maladies cryptogamiques… Le changement climatique menace les forêts françaises. Pour faire face à ces bouleversements, les forestiers adaptent leur méthode de gestion forestière, et optimisent la résilience des peuplements. 

17,8°C, c’est la température moyenne mensuelle enregistrée sur l’ensemble du territoire durant ce mois de mai. Un record qui hisse le printemps 2022 au troisième rang des printemps les plus chauds jamais enregistrés depuis le début du XXe siècle. De mars à fin mai, la température moyenne a dépassé les normales saisonnières d’1,6 °C, entraînant une forte sécheresse. Avec un déficit de précipitation de 45 %, ce printemps est également le troisième plus sec derrière ceux de 2011 et de 1976. Autant de données qui suscitent l’inquiétude autour des nappes phréatiques et de la santé des forêts pour l’été à venir. 

Un risque incendie accru

Ce sera un « été de tous les dangers », une « poudrière » qui ne se cantonnera pas uniquement au Sud de la France, de l’avis des pompiers interrogés par Le Journal du dimanche. « En France métropolitaine, en moyenne sur la période 2007-2019, 3 600 incendies emportent 11 400 ha de forêt par an. En 2019, il y a eu près de 3 000 feux et 15 000 ha de forêts brûlées », relevait en 2020 le ministère de la Transition écologique et solidaire dans un document intitulé Feux de forêt, les prévenir et s’en protéger. Et si les deux-tiers des surfaces incendiées sont en Méditerranée, 50 % des forêts métropolitaines seront soumises à un risque incendie élevé dès 2050, d’après la mission interministérielle « Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts ». 

Des pathologies diverses

Très médiatisé, le risque incendie n’est pas le seul qui plane au-dessus des forêts. Il y a d’abord le stress hydrique induit par la sécheresse. En 2020, Sylvain Delzon, biologiste écologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) à Bordeaux, expliquait aux Echos que face à la sécheresse, « les feuilles ferment leurs stomates servant à l’évapotranspiration de l’arbre, pour essayer de le protéger d’une chaleur excessive, et [l’arbre] finit par se dessécher. »

Moins connue, l’embolie gazeuse constitue aussi une menace sérieuse. C’est même l’une des causes principales de la mortalité des arbres, notamment lors des sécheresses. Il s’agit d’une entrée d’air qui perturbe la circulation d’eau en obstruant les vaisseaux où circule la sève. Elle provoque la mort de l’arbre par déshydratation. Toutes les essences ne sont pas égales face à cette pathologie. « Le taux d’embolie létale (c’est-à-dire le pourcentage de réduction du flux d’eau dans les tissus conducteurs) est d’environ 50 % pour les conifères aux feuilles persistantes. Il est de 90 % pour les angiospermes », décrit un article de The Conversation. 

La sécheresse favorise également le développement de nuisibles, comme les chenilles processionnaires. Ou encore les scolytes, coléoptères qui, en pondant leurs œufs sous l’écorce, affaiblissent les arbres contaminés, parachevant ainsi le travail de la sécheresse. 

Le réchauffement climatique ralentit aussi la croissance des arbres. Un cercle vicieux dans la mesure où la capacité de stockage carbone des arbres dépend de leur croissance et que leur mortalité augmente en même temps que diminue leur capacité à stocker du carbone. D’autant qu’en période de forte chaleur, les végétaux, eux, ont tendance à respirer plus fort et donc à en rejeter davantage. 

Ces différentes pathologies rendent certains peuplement inadaptés aux zones qu’ils occupent. Dans la région Grand-Est par exemple, Édouard Jacomet, du département gestion durable et multifonctionnelle de l’Office national des forêts (ONF), explique que « si l’épicéa devait rester présent en altitude, il est fort probable qu’il disparaisse à terme des plaines ». Mais le sapin, le hêtre, le pin sylvestre ou encore le frêne ne sont pas non plus épargnés. Dans l’Allier (03), la forêt de Tronçais perd de cette façon 15 à 20% de ses arbres en raison du réchauffement climatique.

L’adaptation naturelle ne suffit plus

Face à ces multiples menaces, le mécanisme d’adaptation naturelle des arbres ne suffit plus. Il s’avère même dix fois trop lent « au regard de la rapidité prévisible d’évolution du climat (…) », indique l’ONF dans son document Changement climatique et dépérissement : pourquoi il faut agir en forêt. C’est la raison pour laquelle, les forestiers et les pouvoirs publics se mobilisent pour accroître  la résilience naturelle des forêts en pratiquant des  reboisements stratégiques. 

« Afin de préserver les surfaces forestières qui jouent un rôle majeur pour atténuer le réchauffement climatique, il faut aider la forêt en replantant de nouvelles espèces plus résistantes », explique Joël Conche, expert national graines et plants (ONF). Une sorte de sélection naturelle assistée en faveur d’essences capables de supporter ces bouleversements climatiques.

Une aide financière a été adressée aux propriétaires privés et aux communes propriétaires de forêts en ce sens. Son attribution est soumise à trois types d’interventions : l’amélioration des peuplements dits « pauvres » (tels que taillis, mélanges taillis-futaies) ; la reconstitution des peuplements victimes de scolytes ; et l’adaptation des peuplements les plus vulnérables au changement climatique. Cette aide s’inscrit dans le cadre du volet forestier du Plan de relance, lancé fin 2020, afin de contrer les effets de la crise économique due à la pandémie mondiale de Covid-19. Ce volet est doté de 200 millions d’euros pour les deux prochaines années, dont 150 millions d’euros engagés pour le seul renouvellement forestier. 

En amont de l’annonce du lancement dudit volet, les acteurs de la filière forêt-bois et l’État avaient signé une charte actant leur engagement mutuel à lutter contre le dépérissement forestier et à agir pour la préservation des écosystèmes menacés par le changement climatique : « c’est plus de 45 000 hectares de forêts qui devraient pouvoir être adaptés, régénérés ou reconstitués, soit environ 50 millions d’arbres », prévot ledit Plan. 

Les forêts mosaïques : garde-fous du changement climatique

Chaque année, ce sont 75 millions d’arbres qui sont plantés. En amont, tout un travail de récolte et de sélection de graines est effectué pour créer des forêts mosaïques, mieux armées contre le changement climatique grâce à leur diversité génétique. C’est effectivement là l’une des stratégies adoptées par les forestiers pour lutter contre le dépérissement des peuplements. « Il est difficile de savoir à l’avance quelle espèce sera impactée par le réchauffement climatique. C’est pour cela qu’il est important de les mélanger, car lorsque certaines sont attaquées par un parasite (champignons, insectes), d’autres, plus résistantes, évitent que des pans entiers de forêt disparaissent », développe Joël Conche.

Certaines associations, à l’instar de Sylv’acctes dans l’Ain (01), encouragent les « actions vertueuses » des propriétaires forestiers. L’association défend une approche axée sur la résilience naturelle des massifs, soutenue par « des petits coups de pouce » comme elle le décrit. Dans 30% des cas, « replanter est inévitable » et l’opération déjà « très coûteuse » peut engendrer des pertes, explique Loïc Casset, coordinateur général de l’association Sylv’acctes. Pour soutenir les forestiers et amortir les coûts causés par les travaux, l’association propose un financement pouvant aller jusqu’à 70% du montant engagé.  

Ces stratégies de diversification ne datent pas d’hier, mais leur développement tend à s’accélérer. Dans le Grand-Est par exemple, le projet Giono a été lancé en 2001. Objectif ? Implanter environ 7 000 chênes et hêtres du sud de la France dans plusieurs forêts de la région, afin d’évaluer leurs capacités d’adaptation et de reproduction. Mais le temps de la forêt n’est pas celui des hommes, et pour avoir la réponse, il faudra encore attendre quelques décennies.