Les villes en quête de végétalisation

Les villes en quête de végétalisation
La canicule qui a touché les grandes villes françaises le samedi 18 juin a constitué un sévère avertissement. La conjonction de la croissance urbaine, dont la population devrait augmenter de 2,5 milliards de personnes d’ici 2050 et du réchauffement climatique fait en effet peser de très lourds risques sanitaires et économiques sur les villes. Selon plusieurs études scientifiques, la végétalisation des villes s’affirme comme un investissement d’adaptation nécessaire pour multiplier les îlots de fraicheur dans des espaces urbains appelés à se réchauffer parfois au-delà des limites de l’acceptabilité physique.  

Inquiétantes perspectives pour les villes  

Une étude, publiée dans la revue Plos One, a conclu que huit villes sur 10 connaîtront une évolution significative de leur climat d’ici 2050. Les épisodes caniculaires seront d’autant plus aggravés en ville du fait des caractéristiques physiques même des espaces urbains et leur propension à créer des « îlots de chaleur ». Propres à la ville et bien connus des scientifiques, ces effets îlots dépendent de différents facteurs, notamment de la « rugosité urbaine », à savoir la hauteur des bâtiments, des surfaces minérales, qui emmagasinent la chaleur le jour pour la restituer la nuit, de l’absence d’espaces verts mais aussi de toutes les sources de chaleur liées à l’activité humaine. Mais, en règle générale, la différence de température entre ville et campagne est de 4 à 5° avec, plus rarement, des pics à 10°C. Avec le réchauffement climatique, ces vagues de chaleur pourraient atteindre des températures difficilement supportables pour le corps humain.

En ligne de mire, se dessine ainsi la perspective d’une surmortalité, notamment parmi les populations les plus fragiles, et une pression supplémentaire sur des hôpitaux, dont la récente crise sanitaire a démontré la fragilité. Économiquement aussi, le réchauffement des villes n’est pas neutre et pourrait entraîner une réduction possible des capacités de travail de 20 % d’ici 2050, pendant les mois particulièrement chauds. Une étude menée à Paris par Santé Publique France a ainsi démontré que le risque de mortalité lié à la chaleur était de 18 % plus élevé dans la capitale que dans les communes les plus arborées. Pendant la canicule de 2003, la surmortalité était de 141 % à Paris, alors qu’elle se limitait à 40 % en zone rurale.

Les municipalités comptent sur l’évapotranspiration pour rafraichir les villes

Plusieurs études démontrent d’ores et déjà le rôle de régulateur thermique de la végétation en ville. Une conclusion logique, dont l’explication scientifique repose sur la capacité éprouvée de la végétation à « transpirer » et, par extension, à rafraîchir l’atmosphère via le mécanisme de photosynthèse. Un chêne adulte peut ainsi transpirer jusqu’à 1000 litres d’eau par jour et un tilleul 600 litres d’eau. La température au sol, protégée par l’ombre de la canopée, contribue aussi à ce phénomène. En moyenne, des études empiriques ont démontré que la différence de température entre une rue bétonnée et un espace vert était d’environ 2° C, ou plus. A Londres, par exemple, la température de l’air est plus fraiche de 4 °C dans un rayon de 400 mètres autour Kensington Gardens, tandis qu’aux Etats-Unis, des écarts de température de 2 à 3 °C ont été relevés entre les banlieues avec des arbres anciens et celles n’en étant pas dotées.

Plus largement, la végétalisation de la ville a aussi, selon la littérature scientifique, des bénéfices sanitaires pour les populations riveraines, notamment sur la longévité, la réduction des symptômes cardio-vasculaires, des troubles respiratoires ou encore du stress. L’opinion, de son côté, semble déjà s’être converti à l’idée, notamment chez les plus jeunes. Un sondage IFOP, réalisé en 2016, pointait déjà que 7 urbains de moins de 35 ans sur 10 estimaient que la création d’espaces verts devait devenir l’une des priorités des investissements dans les villes. Un taux qui monte à 70 % des sondés pour ceux logeant dans un immeuble sans jardin.

Les villes multiplient les « Plans arbres »

Dans ce contexte, les villes multiplient les « plans arbres ». A Toulouse, la municipalité aspire ainsi à planter 10 000 arbres par an jusqu’à 2030, notamment dans les zones les plus urbanisées. Dans la ville de Valence, ce sont 10 000 arbres qui devraient être plantés entre 2020 et 2026. A Montpellier, l’opération « 50 000 arbres » devrait s’achever en 2026.

Le cas de la capitale est particulier car l’espace disponible y est particulièrement limité, hors des bois de Boulogne et de Vincennes. La Mairie aspire pourtant à faire pousser 170 000 arbres d’ici 2026. Et les polémiques n’en finissent pas. Le projet de réaménagement du Champs de Mars, qui prévoyait notamment l’abattage d’une vingtaine d’arbres, parfois centenaires, a ainsi été en partie annulé sous la pression de collectifs parisiens et le lancement d’une pétition ayant rassemblé 90 000 signataires. Quelques mois auparavant, la mairie de Paris a renoncé au projet emblématique de réhabilitation et de modernisation de la Gare du Nord, confié à l’entreprise Ceetrus, foncière du groupe Auchan, en 2018. Le projet de Ceetrus prévoyait ainsi la création d’un vaste toit végétalisé d’environ 11 000 m2 dans un arrondissement faiblement doté en ilots de verdure, librement accessible aux usagers de la Gare du Nord, sans pour autant grignoter sur un espace constructible très limité. En octobre 2020, deux projets de forêt urbaine, à l’Opéra Garnier et sur les Berges de Seine, ont été abandonnés. Dans le même temps, Anne Hidalgo souhaite végétaliser en partie le périphérique parisien, déjà très engorgé, déclenchant l’ire d’une partie des automobilistes.

La seule végétalisation des villes reste insuffisante

D’autres axes de végétalisation sont aussi privilégiés par l’ADEME, qui appelle les municipalités à s’orienter largement en faveur de villes plus vertes. Le développement de façades et de toitures végétalisées apparait ainsi comme des atouts pour limiter le recours à la climatisation, mais aussi pour un moindre recours à la climatisation. Au niveau international, l’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) plaide aussi pour la végétalisation des villes, évoquant entre autres, leur participation au « stockage du carbone, (à) l’élimination des polluants atmosphérique, […] (à) la restauration des sols dégradés et (à) la prévention des sécheresses et des inondations ».

Quoi qu’il en soit, la végétalisation des villes demeure un atout insuffisant. Selon Alain Sarfati, architecte et urbaniste, dans des propos rapportés par le magazine Reporterre le 18 mars 2020, il est aussi nécessaire de « s’intéresser aux origines de la chaleur, qui se trouvent dans le bitume des chaussées et dans la climatisation excessive de certains bâtiments aux couleurs foncées inappropriées. Si on veut lutter contre la chaleur il faut des bâtiments blancs, sauf façade nord, et trouver un autre revêtement pour les chaussés ». Quant à la lutte des émissions de CO2, elle doit être prioritaire en « (éradiquant) la voiture de la ville, et en (limitant) la circulation automobile aux taxis et transports en commun avec des parkings aux entrées et sorties pour ceux qui viennent des périphéries ».