Afrique : une agriculture raisonnée pour éviter les pénuries ?

Afrique : une agriculture raisonnée pour éviter les pénuries ?
BioProtect au Burkina Faso, le Groupe Forrest International en RDC, South Organic et Olivna en Tunisie… L’agriculture biologique a le vent en poupe en Afrique. Une démarche écologiquement responsable, mais aussi nécessaire à la reconquête de la souveraineté alimentaire du continent.

C’est une viande de qualité qui fait la fierté de ses éleveurs : en République Démocratique du Congo, la société Grelka, pour « Grands Élevages de Katongola », produit, depuis les années 30, une viande biologique destinée à la consommation locale des provinces du sud du Grand Katanga et du Lualaba. « Nos animaux sont élevés en pleine nature et se nourrissent exclusivement de la végétation naturelle des plateaux de Biano et des savanes de Katongola », détaille le groupe. Une viande savoureuse, produite en respectant l’équilibre naturel, c’est ce dont peut s’enorgueillir George Forrest, dirigeant du Groupe Forrest International, qui a racheté Grelka en 2006. Fin décembre 2021, le Groupe Forrest International annonçait apporter les activités de Grelka dans un nouveau groupe baptisé GoCongo, né de la fusion avec les actifs agro-industriels d’Aziz Khabirpour, entrepreneur d’origine iranienne, et de l’allemand Kirsten Pucks.

Nouvelle étape dans l’édification d’un poids lourd de l’industrie agro-alimentaire nationale, GoCongo officialisait le 21 mars dernier la finalisation du rachat de la Pastorale du Haut-Lomami (PHL), autre géant de l’élevage congolais, portant à 56 000 têtes son troupeau de bovins. « Nous avons la conviction que l’industrie alimentaire locale possède un énorme potentiel de croissance, et nous allons systématiquement identifier et développer des entreprises alimentaires verticalement intégrées, afin de proposer des alternatives aux niveaux inacceptables de produits importés que notre pays devrait et pourrait produire localement », déclarait à cette occasion George Forrest.

Il faut dire que l’agriculture biologique, de manière générale, a le vent en poupe sur le continent. Certains pays ont été précurseurs, comme la Tunisie qui, dès la fin des années 1990, s’est dotée d’un arsenal législatif pour favoriser les productions agricoles biologiques. Selon Virgine Touré de Baglion, fondatrice de Certi-Bio Guinea et de la Société guinéenne pour le développement durable, la réglementation tunisienne en matière d’agriculture biologique et durable, s’avère même être « au même niveau d’équivalence que celui du règlement de l’Union européenne (UE) ». Résultat, de très nombreuses entreprises ont investi le secteur comme Olivna sur le marché oléicole ou South Organic, dans la production de dattes.

Pourtant, la transition vers une agriculture plus durable est encore balbutiante dans de nombreux pays comme au Burkina Faso, où le groupe Bioprotect accompagne les producteurs et les éleveurs vers des modes de production respectueux de la nature et de l’équilibre de la faune et de la flore. Et il y a urgence à mettre sur pied une nouvelle manière de cultiver en Afrique : la guerre en Ukraine rappelle cruellement à quel point certains pays du continent demeurent dépendants de l’extérieur. Ainsi, selon l’ONU, 25 pays africains ont importé au moins 33% de leur blé d’Ukraine et de Russie, entre 2018 et 2020. Une part qui, pour certains comme le Bénin ou la Somalie, grimpe jusqu’à 100%.

Encourager une autre agriculture

Le temps presse et la tentation serait grande pour l’Afrique de rentrer dans un modèle productiviste, à l’image de la révolution verte mise en place en Inde à l’indépendance du pays, à grand renfort de systèmes d’irrigation massifs et d’intrants chimiques. Pour autant, selon Pierre Jacquemot, diplomate et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, le contexte est « une occasion historique pour réinventer les systèmes agricoles et la souveraineté alimentaire du continent (africain, ndlr) ».

L’auteur du rapport intitulé « La reconquête de la souveraineté alimentaire en Afrique » tourne le dos à la révolution verte et à l’agrobusiness. Interrogé sur France Info à propos de la faible disponibilité de terres mobilisables pour l’activité agricole sur le continent africain – à peine 50 millions d’hectares utiles –, il répondait que la seule solution pour l’Afrique est « l’augmentation de ses rendements, ce qui signifie intensifier les activités agricoles sur les surfaces existantes ». Intensifier oui, mais de façon raisonnée.

Exit, donc, l’irrigation massive, le recours aux engrais chimiques et aux labours profonds. « Ce modèle a peut-être produit des résultats en Inde dans les années 1960-1980, mais il n’est pas adapté aux petites exploitations familiales qui représentent 60 à 70 % de l’agriculture africaine », indique l’expert. Selon lui, l’avenir agricole de l’Afrique réside dans cette agriculture paysanne, soutenue par des outils techniques, des conseils efficaces et un respect de la terre.

Afin de tendre vers une agriculture productiviste de qualité, l’agriculture africaine doit renouveler sa biomasse pour entretenir la fertilité de ses sols, privilégier des engrais naturels, utiliser des semences performantes d’origine paysanne – et donc sans les OGM (organismes génétiquement modifiés) « qui rendent les paysans dépendants aux multinationales ».  

Cette révolution agricole comporte également un volet technologique, de l’avis de l’expert. Toujours sur France Info, il rappelle que « les téléphones mobiles permettent aujourd’hui de s’informer sur la météo, les prix sur les marchés, les nouvelles semences disponibles ». Un atout donc, que les paysans doivent saisir.

Il est aussi question de l’électrification des campagnes via l’utilisation de panneaux solaires et de petites éoliennes. Des dispositifs qui autorisent « par exemple, de créer des « kiosques énergie » ou des mini-réseaux dans les villages ». Bref, d’une grande utilité pour l’agriculture puisqu’il devient possible de s’éclairer, de recharger son téléphone, de faire fonctionner des moulins à céréales ou des pompes pour la petite irrigation, ou encore d’assurer la chaîne du froid, de congeler et de transformer les produits agricoles. Autant de solutions à petite échelle qui doivent permettre de transformer progressivement l’agriculture africaine vers un modèle plus souverain et plus durable. « C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la nouvelle » dit un proverbe africain.