Amandine Dupont (ONF) « Il n’y a pas de climatosceptiques dans le milieu forestier »

Amandine Dupont (ONF) « Il n’y a pas de climatosceptiques dans le milieu forestier »
Les frênes qui ont participé à la grandeur de la forêt de Retz dans l’Aisne sont en danger. Favorisés par le réchauffement climatique, les parasites prolifèrent, entraînant une épidémie de chalarose ravageuse pour cette espèce. Sur le pont pour replanter et accélérer l’adaptation de la forêt au changement climatique, les salariés de l’Office national des forêts (ONF) ont bien conscience d’affronter un défi majeur. 

En quelques décennies, le changement climatique est devenu la préoccupation majeure des forestiers. Joël Linte, responsable territorial de l’ONF dans l’Aisne, entré à l’Office en 1983, a vécu cette prise de conscience de l’intérieur dès les années 2000. Le sujet s’est imposé rapidement et aujourd’hui « il n’y a pas une journée où on ne raisonne pas en fonction du changement climatique », confie-t-il dans les colonnes de l’Union. Le défi climatique est entré au cœur de la formation des nouveaux techniciens forestiers. Fraîchement arrivée dans la profession, Amandine Dupont est formelle : « aujourd’hui il n’y a pas de climatosceptiques dans le milieu forestier ». 

Il faut dire que dans ces métiers de terrain, la réalité du réchauffement climatique s’impose assez vite. Les hêtres, à l’écorce fine et claire, supportent mal la chaleur et le fort ensoleillement et s’assèchent. Dans les Vosges, les sapins qui faisaient l’identité du massif meurent de soif et les épicéas sont ravagés par les scolytes qui pullulent avec la hausse des températures. 

Concilier temps long et gestion de l’urgence

Les forestiers sont confrontés à une situation d’urgence profondément contradictoire avec le temps long qui ordonne habituellement le développement sylvestre. Joël Linte explique comment l’urgence oblige les forestiers à changer de pratiques. « Nous, forestiers publics, on préfère la régénération naturelle. On est un peu pris par le temps, donc on est obligés de replanter beaucoup plus ». Bertrand Munch, directeur général de l’ONF, confirme ce diagnostic : « Soit on accepte que nos paysages changent du tout au tout, c’est-à-dire que la forêt se réduise et qu’à certains endroits il réapparaisse de la broussaille, soit on l’aide à s’adapter. C’est ce que nous essayons de faire. » Depuis 2020, le rythme annuel de plantation de l’Office est passé de 3 à 10M de plants. 

Ces plantations s’inscrivent dans une réflexion à long terme. En s’appuyant sur les projections des scientifiques, soit un réchauffement compris entre +2 et +2,5°C, l’ONF choisit des espèces comme le chêne Sessile, qui supporte mieux les sécheresses. 

Diversifier les espèces

Pour affronter le changement climatique, la diversification des espèces sera primordiale. L’ONF joue sur deux tableaux, avec la réintroduction d’essences disparues et l’implantation d’espèces historiquement connues sous d’autres latitudes. Au nombre des anciennes gloires sur le retour, on peut compter le merisier, autrefois très apprécié dans l’ameublement, ou l’érable. Un grand nombre d’espèces méditerranéennes pourraient migrer vers le Nord. Parmi elles, le pin d’Alep, le pin maritime, le chêne pubescent ou le cèdre de l’Atlas. 

Cette diversification permet de limiter la propagation des maladies. Certaines espèces servent également de pare-feu, comme le chêne rouge. Les potentialités d’exploitation de ces nouvelles espèces doivent également permettre de limiter les importations françaises de bois, qui comportent leur lot d’émissions de GES et peuvent impliquer une déforestation à l’étranger. 

Aux critiques formulées par certains acteurs quant à l’introduction d’espèces dites « exotiques », Bertrand Munch répond sans détour : « on préfère une forêt de cèdres dans cent ans que pas de forêt du tout ». Outre les gigantesques opérations de plantation, l’ONF crée aussi des pépinières expérimentales, afin de mesurer la résistance à la chaleur ou à la sécheresse de différentes espèces.

Cette mobilisation des forestiers dans l’ensemble de l’Hexagone sera déterminante pour l’avenir de la forêt française. Du chêne de la forêt de Tronçais (Allier) aux hêtraies picardes, toutes les essences et tous les territoires sont concernés.