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Elle a été la première navigatrice à réaliser un tour du monde en solitaire. Femme de défis, Isabelle Autissier est aujourd’hui présidente du WWF France. Une autre vie, tout aussi exaltante que la précédente, au sujet de laquelle elle a bien voulu nous en dire plus à l’occasion des cinquante ans de l’association.
Isabelle AUTISSIER, vous étiez une navigatrice hors pair et êtes devenue fin 2009 présidente du WWF France. Qu’est-ce qui vous a poussé à rallier officiellement la cause écologique et pourquoi avoir adhéré au WWF plutôt qu’à une autre ONG de protection de la nature ?
L’écologie n’est pas une idée neuve pour moi. J’ai été ingénieur agronome halieute, et déjà à cette époque (NDLR : à la fin des années 1970) je voyais bien que nous risquions d’aller dans le mur… Je pense que ma formation scientifique m’a sensibilisée. Et lorsque j’étais navigatrice, j’ai été au contact de la nature avec un « n » majuscule.
Cette période de ma vie m’a conforté dans mon sentiment que c’est bel et bien à l’Homme de s’adapter à la nature et non le contraire. La course prenait 140 % de mon temps mais depuis quelques années je suis davantage disponible et j’ai eu envie de m’engager de manière plus forte et plus concrète. J’ai le sentiment que l’urgence est là , qu’il faut se bouger maintenant…
Par ailleurs la philosophie du WWF me convient, parce que c’est une organisation qui est à la fois dans la dénonciation et dans le combat. Le WWF a aussi « les mains dans le cambouis » puisque nous sommes en contact direct avec les gens et que nous travaillons avec les entreprises et les pouvoirs publics pour faire avancer les choses de manière concrète.
Nous sommes critiquables et peut-être que nous n’en faisons pas encore assez mais en tout cas nous nous employons à mettre en place des solutions avec les gens en place. En clair, nous défendons la nature et la vie mais pas seulement « pour le principe ». Ce qui moi m’importe, c’est que l’Homme ait la vie la plus agréable possible et pour ce faire il doit être au cœur de la problématique.
En quoi consiste votre travail au quotidien ?
C’est un travail bénévole qui me prend un ou deux jours par semaine. Il s’agit notamment de répondre à des besoins particuliers des équipes sur des orientations, des choix ou des projets précis.
Ce travail consiste aussi à faire fonctionner le conseil d’administration et suppose un certain niveau de relation puisque je suis régulièrement amenée à rencontrer d’autres responsables d’ONG ou encore des personnalités politiques. Et puis il y a la représentation médiatique. En bref c’est un ensemble de choses différentes les unes des autres…
« Le WWF compte aujourd’hui cinq millions de membres alors qu’à la base, ça partait de quatre ou cinq personnes »
Le WWF célèbre ses cinquante ans. Que retenez-vous de ces cinquante premières années et quelles ont été à vos yeux les plus grandes réussites de l’association ?
La première réussite du WWF, c’est qu’il compte aujourd’hui cinq millions de membres répartis dans plus de cent pays et qu’il est présent sur de nombreux dossiers extrêmement variés. Il faut bien se souvenir qu’à la base, ça partait de quatre ou cinq personnes… Nous avons obtenu de nombreux succès, en particulier en matière de protection des espèces : les grands singes, les rhinocéros ou plus récemment les tigres par exemples. Ces succès ont aussi eu un impact bénéfique sur d’autres espèces.
Le WWF a en outre connu de belles réussites en ce qui concerne la protection des milieux. Je pense notamment aux milieux humides, aux forêts, à la forêt africaine en particulier.
Quant aux labels FSC et MSC, pour ne citer qu’eux, il s’agit d’outils précieux que nous avons beaucoup défendu et que nous avons parfois contribué à créer. Le WWF a enfin beaucoup insisté sur l’empreinte écologique, capitale pour comprendre l’impact de l’Homme sur l’environnement, et a été en mesure d’organiser des manifestations d’envergure internationale qui touchent le grand public, dont Earth Hour, qui a eu lieu le 26 mars dernier et rassemble chaque année de plus en plus de monde.
Après cinquante ans de lutte, beaucoup reste encore à faire. Quels sont aujourd’hui vos principaux objectifs en tant que présidente du WWF France ?
L’agriculture, l’alimentation, la préservation des ressources en eau et la santé sont des sujets dont on peut finalement considérer qu’ils appartiennent à une problématique globale, puisqu’ils ont tous un impact direct sur la biodiversité et sur la santé des hommes. Par ailleurs, on le sait : les ressources halieutiques diminuent dangereusement. Or la pêche nourrit des millions d’êtres humains, c’est pourquoi il faut là aussi à tout prix faire quelque chose.
Ce qui m’intéresse aussi, c’est de travailler sur la création de villes durables. Les transports autrement, les vacances autrement… Nous disposons maintenant de beaucoup d’informations et la sensibilité écologique est désormais très forte. D’accord, mais après cela qu’est-ce qu’on fait ? Il faut commencer à mettre en place des alternatives. C’est un processus long mais indispensable.
« Il faut remettre les choses à plat sur la question du nucléaire »
L’accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima a relancé le débat en France sur l’énergie atomique. Quelle est la position du WWF France sur ce sujet ?
Qu’il s’appelle Grenelle ou non, il faut procéder à un état des lieux. Notre association appelle à remettre les choses à plat et à faire un point complet sur l’énergie. Nous sommes en effet cernés de tous les côtés, avec la diminution des ressources pétrolières, la surexploitation du charbon et les risques et les dangers du nucléaire. En ce qui concerne les énergies nouvelles, c’est un fait : beaucoup reste à faire.
Reste que la meilleure énergie sera toujours celle qu’on ne consomme pas et de ce point de vue nous avons des boulevards devant nous.
Une dizaine de tranches de centrales servent uniquement au chauffage électrique et si nos maisons étaient isolées correctement, si nous nous déplacions de manière plus collective, si une vraie réflexion était menée dans les entreprises une partie importante de l’énergie ne serait pas consommée. Ces améliorations sont possibles et pour les obtenir nous souhaitons un débat public avec une vraie transparence.
Il faut que les Français soient informés, y compris sur ce que coûte le démantèlement d’une centrale nucléaire, et qu’on aille vraiment au fond des choses.
Vous avez été vice-présidente d’une commission du Grenelle de l’environnement dédiée à la protection du littoral et êtes à ce titre bien placée pour parler de la politique environnementale que conduit la majorité. Votre association a-t-elle joué un rôle dans sa mise en oeuvre ?
J’étais administratrice au moment du Grenelle de l’environnement mais j’ai effectivement pris part au Grenelle de la Mer. Le Grenelle, ce sont les associations qui l’ont proposé, et elles ont été parti prenante de toutes les discussions jusqu’à ce que les différentes propositions soient émises. Nous avons donc pu nous exprimer sur tous les sujets, à l’exception du nucléaire, qui ne fait pas partie de ce chantier, et nous avons été en parti entendus.
Il y a cependant eu un certain nombre de reculs durant la phase de réalisation en raison de détricotages des politiques ou des lobbies. Il existe certes une commission de suivi mais elle n’est de toute évidence pas très efficace puisque les décisions sont prises sans concertation. Au total, beaucoup de promesses ont certes été trahies mais il y a tout de même eu quelques avancées et là où les choses ne se sont pas faites nous continuerons à faire pression.
« C’est passionnant de se dire que nous pouvons et que nous allons inventer des choses pour que la situation s’améliore »
D’aucuns pourraient penser que l’écologie « joyeuse et inventive » que vous défendez n’est pas appropriée au regard de la dégradation de la conjoncture écologique mondiale. Que répondez-vous à ceux qui plaident pour l’urgence et le besoin d’une approche plus agressive ?
Il faut alerter, râler, mobiliser, dénoncer mais nous ne pouvons pas en rester là , sous peine de finir par décourager les gens. Il faut leur dire toute la vérité et donc leur montrer aussi que des solutions existent. Celles que nous connaissons, celles que pour diverses raisons nous n’avons pas pu ou avons mal mises en œuvre et toutes celles que nous devons inventer. C’est passionnant de se dire que nous pouvons et que nous allons inventer des choses pour que la situation s’améliore, non ?
Je prétends que ce que nous essayons de construire sera mieux que ce que nous vivons aujourd’hui. Il me semble que nos sociétés actuelles ne rayonnent pas de bonheur ou de joie de vivre. Pour ma part, je vois des gens individualisés et des sociétés dans lesquelles nous consommons et nous jetons en très grandes quantités. Je n’ai pas l’impression que tout cela soit très épanouissant… C’est à nous de participer à la création de nouvelles solidarités à travers des modes de vie plus collectifs. C’est rigolo à faire et ce sera plus réjouissant que ce qu’il y a aujourd’hui.
À l’instar de Nicolas Hulot, réfléchissez-vous à une carrière politique ? Pensez-vous que l’écologie doit être politique pour peser sur le débat et faire changer les choses ?
La politique, ce n’est pas ma tasse de thé. J’ai du respect pour les politiques, je ne suis pas une adepte du « tous pourris » mais je suis quelqu’un du milieu associatif et ce n’est tout simplement pas mon « logiciel personnel ». Je ne suis pas faite pour cela, je serais obligée de me forcer, je ne serais pas à l’aise et il est impossible d’être bon lorsque nous ne sommes pas à l’aise. Enfin rejoindre ce monde signifierait renoncer à ces deux mois de navigation par an dont j’ai vraiment besoin…
Il n’en demeure pas moins que l’écologie est politique. Entendons-nous bien : il y a mes idées, ceux pour qui je vais voter etc., et il y a le WWF qui, lui, n’a pas d’appartenance, mais je ne fais pas de lobbying politique et je ne roule pour personne. Cependant nous traitons de sujets qui ont des résonnances politiques avec des personnalités politiques. C’est le seul moyen pour prétendre à avancer.
En tant qu’éco-citoyenne quels éco-gestes conseilleriez-vous à nos internautes ?
En ce qui me concerne j’essaie de manger bio au maximum, parce que je n’ai pas les moyens de me payer un cancer (sic). Plus largement, je fais attention à mon cadre de vie. Par exemple ma maison a été ré-isolée et est chauffée au bois.
Quand je fais les choses, j’essaie de les mesurer à l’aune de mon empreinte carbone. Je pense aussi à ce que je vais promouvoir à travers mes actions et mes achats. Nous avons été entraînés dans une dynamique de consommation et il y a certaines questions capitales que nous ne nous posons même plus… Je n’ai qu’un seul conseil : essayez de vous arrêter deux secondes pour voir si vous pouvez faire autrement.
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